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style, mais combien son élan était sûr et terrible ! Vers le soir, nous allâmes faire une promenade dans la campagne, car le sportsman désirait m’expliquer le mécanisme de la chasse, tout en me montrant, comme il disait, le champ de bataille. Les arbres étaient à peu près dépouillés ; mais l’automne, quoique déjà très avancé, avait appauvri la nature sans l’attrister, et je ne tardai point à me réconcilier avec le paysage, qui, vu de près, ne manque point de caractère. Un des mérites du fox-hunting est d’avoir donné pour les amateurs une poésie à l’hiver, la saison de l’année qui avait le plus besoin d’attraits. Ils trouvent en effet des beautés sauvages dans les sombres bruyères, dans la chevelure roussâtre des halliers, dans les bois silencieux ou troublés par les voix sibyllines du vent, qui parlent entre les branches nues et renversées les unes sur les autres.

Le sportsman voulut bien alors m’expliquer certains détails relatifs au personnel du fox-hunting avec toute la méthode d’un professeur de la noble science. « Je ne vous parlerai point de la chasse, me dit-il, vous la verrez demain. Quelqu’un qui assiste pour la première fois à ces scènes émouvantes ne peut d’ailleurs se faire qu’une idée bien confuse de nos manœuvres, s’il ne connaît d’avance l’histoire et l’organisation de l’art de la vénerie. Vous savez déjà que la course au renard a subi de grands changemens en Angleterre depuis moins d’un siècle. Autrefois les chasseurs se réunissaient avant le chant du coq, souvent même les chiens postés d’avance le long d’une haie attendaient le point du jour pour s’élancer dans le fourré où se cachait leur ennemi. Il n’en est plus de même aujourd’hui ; la chasse commence relativement tard dans la journée, et se poursuit, si j’ose ainsi dire, à la vapeur. La différence entre l’ancien et le nouveau style peut au reste se résumer en deux mots : jadis on passait quelques minutes à trouver le renard et des heures à le tuer ; maintenant nous passons des heures à le découvrir, et quelques minutes suffisent souvent pour l’exterminer. — Auquel des deux systèmes, lui demandai-je en l’interrompant, donnez-vous la préférence ? — En vérité, reprit-il, je n’en sais rien ; il y a du pour et du contre. Nous trouvons la méthode de nos pères bien lente ; s’ils revenaient à la lumière, ils trouveraient peut-être la nôtre trop rapide : « vous courez, nous diraient-ils, vous ne chassez plus. « Il se peut que nous ayons suivi en cela l’exemple des horticulteurs fleuristes, qui, après avoir épuisé une série de combinaisons, se mettent à en recommencer une nouvelle, sans autre raison que le désir d’innover. Je ne serais pas non plus étonné que l’âge des chemins de fer, des steamers et des télégraphes électriques n’ait imprimé, à notre insu, le caractère du mouvement et de la promptitude jusqu’aux divertissemens le plus étrangers à l’industrie. Quoi qu’il en