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Je restai là, enfermé durant trois jours et trois nuits dans une maison pauvre et sombre, livré à un grand ennui, faute de livres et d’occupation forcée. J’en profitai pour causer beaucoup avec ma raison et avec ma conscience. La nature est bonne et maternelle, mais la locomotion solitaire nous exalte, et ces arrêts forcés dans le hameau de Turris me rendirent la gouverne de mon être moral et intellectuel.

On sut vite que j’étais médecin, car je soignai les malades de la maison, et le troisième jour, sitôt que la pluie s’arrêta un peu, je vis accourir tout le village. Je n’attendis pas que le ciel fût éclairci ; le baron devait arriver le soir même. Je louai un cheval, j’empruntai un manteau, et je courus à Toulon m’assurer d’une voiture fermée pour conduire mon vieux ami à Tamaris par la route qui longe la rade de La Seyne : la houle lui eût rendu le trajet par mer trop pénible.

Le baron, aussitôt qu’il m’eut serré dans ses bras, me regarda attentivement. — Qu’as-tu ? me dit-il. Tu es malade ?

— Nullement, mon ami.

— Mais si ! Tu es très changé. D’où sors-tu ?

— Je viens de passer trois nuits dans un mauvais gîte et de faire quatre lieues sur un mauvais cheval, par un très mauvais temps ; voilà tout.

Il dut se contenter de ma réponse ; mais je vis que durant tout le trajet il m’examinait avec une sollicitude insolite. Il faut croire que ma figure était effectivement très altérée. Je le conduisis jusqu’à la porte de la marquise, et, ne voulant point gêner leurs premiers épanchemens, je courus à la maison Caire pour faire allumer les cheminées et préparer les lits ; mais Mme  d’Elmeval avait pensé à tout : elle était venue dix fois dans le jour malgré le mauvais temps. Les appartemens étaient propres et bien chauffés. Ma chambre, dont je ne m’étais pas occupé le moins du monde, comptant ne passer là qu’un ou deux jours, était arrangée avec autant de soin que celle du baron. Une cuisinière et un domestique avaient été engagés. Le dîner était prêt, le baron n’avait plus qu’à mettre ses pantoufles pour être chez lui. De grands rameaux de bruyère blanche et de tamaris exotique embaumaient le salon. Je retournai à la villa Tamaris pour prendre le baron, qui avait faim, et qui, ne voulant pas se séparer si tôt de la marquise, l’avait décidée à venir dîner chez lui avec Paul.

Les trois bastides Tamaris, Caire et Pasquali se touchaient par leurs enclos, et quand je dis enclos, c’est faute d’un mot pour désigner ces terrains, qui ne sont ni parcs ni jardins, et qu’aucune clôture ne sépare. En cinq minutes, nous pouvions communiquer les