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tête de la cavalcade, vit la bête s’arrêter, déposer quelque chose à terre, regarder autour d’elle avec inquiétude, puis reprendre sa course. Cette dernière circonstance piqua sa curiosité : il lança son cheval vers le buisson où il avait vu le renard faire halte, et trouva un renardeau que la mère (car c’était une femelle) avait porté depuis deux milles entre ses dents. Pour récompenser ce trait d’affection maternelle, le maître des fox-hounds fit aussitôt interrompre la chasse.

Le fox-hunting se rattache, on l’a vu, au caractère de l’aristocratie britannique. On est libre de trouver qu’elle pourrait faire un meilleur emploi de son temps ; mais il ne faut point oublier que la société anglaise s’appuie tout entière sur le principe de la division des services. Toutes les fois que dans les anciens temps l’honneur du drapeau national a été menacé, toutes les fois qu’il a fallu vaincre sur un champ de bataille, n’est-ce point vers la noblesse que le pays a tourné les yeux pour trouver des chefs et pour diriger les armées ? Cet état de choses a subi quelques modifications depuis ces dernières années, où les couches supérieures de la classe moyenne ont infusé un sang nouveau dans le corps des officiers anglais. L’aristocratie britannique n’en reste pas moins la caste guerrière par excellence. À elle le devoir de défendre la vieille Albion par l’épée, comme à ce que nous appelons chez nous la bourgeoisie le soin d’étendre l’influence et d’accroître les richesses du pays parle commerce. Or la Grande-Bretagne, malgré ses vastes possessions, n’est point toujours en guerre ; il a donc fallu trouver un simulacre de campagne qui, même en temps de paix, empêchât l’ardeur et les forces martiales de l’aristocratie de se rouiller dans l’oisiveté. Ce simulacre est la chasse, surtout la chasse au renard. Un tel exercice répond à la fois au rôle de la noblesse et aux idées des populations rustiques, lesquelles n’aiment rien tant qu’un squire en état de soutenir le mâle caractère de leur pays. C’est la qualité qu’ils admirent avant tout, et c’est souvent la seule qu’ils comprennent. Faut-il donc s’étonner si le fox-hunting, anathématisé par les puritains et les non-conformistes comme un exercice du diable, est au contraire encouragé par la haute église (high church), et se maintient en dépit de tout dans les campagnes du royaume-uni ? L’action est nécessaire à la race anglo-saxonne, et un divertissement qui accroît chez elle les qualités viriles, telles que l’esprit d’aventures et le mépris du danger, défie toutes les prédications, surtout quand il s’appuie sur les mœurs populaires, sur les nobles traditions de famille, et jusqu’à un certain point sur l’organisation politique de la société.


ALPHONSE ESQUIROS.