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principe unique, soit l’autorité sociale, soit la liberté individuelle, pour résoudre toutes les difficultés. L’homme n’est ni exclusivement porté au mal, comme l’affirment les écoles tyranniques, ni exclusivement porté au bien, comme aiment à le dire les optimistes ; il est un mélange de bien et de mal, où le bien domine en fin de compte, mais où le mal a des entraînemens redoutables. De là son droit à la liberté, mais dans les limites dont l’expérience démontre la nécessité. La loi, c’est la sagesse collective se substituant dans une juste mesure à l’ignorance et à la passion de l’individu.

M. du Puynode reconnaît que le plus grand nombre des hommes, livrés à eux-mêmes, ne connaissent pas toujours leurs intérêts, car il demande qu’on répande par l’enseignement les vérités économiques. L’expérience nous apprend que partout où a dominé jusqu’ici l’instinct populaire, au moins en Europe, les principes de l’économie politique ont été honnis et foulés aux pieds, au grand dommage de tous. Le mécanisme compliqué des gouvernemens libres, qui a pour but de faire arriver au pouvoir les hommes les plus éprouvés et d’appeler en même temps sur tous leurs actes les vives lumières de la discussion, ne servirait à rien, si l’autorité publique n’exerçait aucune action, et s’il était indifférent pour un peuple d’avoir pour ministre le premier venu au lieu d’un Turgot ou d’un Robert Peel. Je sais bien qu’il faut un gouvernement libre pour faire respecter la liberté personnelle ; mais où commence et où finit cette liberté ? On ne peut, quoi qu’on fasse, échapper à ces questions. Le droit de l’individu cesse, répond la théorie, dès qu’il porte atteinte aux droits d’autrui. Très bien ; mais quel est le moment où commence l’atteinte ? quels sont les meilleurs moyens de l’empêcher ? Voilà précisément le problème qu’ont à résoudre les gouvernemens, et il n’est pas aisé, car on discute depuis bien des siècles, et on n’est pas encore parvenu à se mettre d’accord.

Nous ne naissons pas au sein d’une société idéale, à faire de toutes pièces, mais au milieu d’une société toute faite, qui a une histoire, des précédens, des traditions, des habitudes, qui occupe un coin déterminé du globe, qui parle une langue spéciale et qui a des mœurs particulières ; nous appartenons, en un mot, à une nation. Tout assurément n’est pas immuable dans la constitution nationale, les peuples changent comme les individus, mais en conservant leur identité essentielle, et dans tous les cas avec beaucoup de temps. Cette succession a de grands avantages ; elle nous fait profiter de ce trésor de civilisation amassé péniblement à travers les siècles ; elle a aussi ses charges, dont nous ne pouvons pas nous affranchir à volonté ; nous sommes solidaires des erreurs de nos pères comme de leurs succès et de leur gloire. L’économie politique, pour être véritablement la science des intérêts, doit nous apprendre qu’on a plus de profit à modifier progressivement les institutions nationales qu’à les bouleverser d’un seul coup, même pour y substituer un régime meilleur en soi. Quiconque ne respecte pas le passé de son pays, tout en essayant de le changer dans ce