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conséquence que nous avons adhéré à la grande solution de la question romaine proposée par M. de Cavour. Il n’y a pas de milieu : ou il faut rester embourbé dans une situation précaire et misérable, ou il faut en venir là. Les difficultés que la question romaine a fait naître dans notre politique intérieure paraissent plus graves, quand on considère l’insuffisance des moyens de contradiction et de transaction que les lacunes de nos institutions, au point de vue libéral, laissent aux partis qui se combattent. On le reconnaît, M. de Bourqueney le proclamait hier avec une netteté qui nous plaît : deux causes, deux politiques sont en présence. Or comment ces deux causes se combattent-elles ? Les discussions du sénat viennent de nous le montrer. Ont-elles l’une ou l’autre l’espoir de triompher par des victoires remportées au sein de l’opinion publique, sanctionnées par un verdict précis et catégorique du pays ? Si elles nourrissent une telle pensée, ce n’est que par des moyens très éloignés et très indirects qu’elles en poursuivent la réalisation. Les moyens directs et immédiats de remporter la victoire dans la conscience publique, et de donner à cette victoire une expression et une sanction pratiques, ne sont fournis que par la liberté de la presse et par la liberté électorale. Muni de cette double liberté, chaque parti dans un état sait qu’il fait la guerre à ses frais et à son profit, qu’il ne peut imputer qu’à lui-même ses échecs ou son succès. De là plus d’élévation et plus de noblesse dans la lutte, car entre l’adversaire et soi on ne songe pas à placer l’intervention prépondérante du pouvoir ; de là aussi, à la longue, une plus grande facilité ouverte aux transactions temporaires, car des deux côtés l’on accepte d’avance ou la pacification ou la trêve commandée par la loi des majorités et par la volonté du pays consulté. Nous ne sommes malheureusement point placés en de telles conditions. Les déclarations émanées des deux partis qui ont pris la parole au sénat le démontrent. Le parti du mouvement et de la révolution a demandé, par l’organe du prince Napoléon et de M. Pietri, la liberté de la presse et la liberté électorale, et l’on trouvera naturel que le prince Napoléon nous ait paru bien inspiré lorsqu’il s’est appuyé sur l’autorité d’un écrit politique de M. Cousin, publié par la Revue. Le parti dont M. de Ségur-Daguesseau et M. de Larochejaquelein ont exposé les mécomptes et les rancunes s’est, lui aussi, mais en pis-aller, prononcé en faveur du rétablissement du droit commun dans la législation qui régit les journaux. Ce qui manque à la situation actuelle a été signalé ainsi par un vœu énergique de la part du prince Napoléon, par un regret chagrin de la part des ultra-conservateurs ; mais cette lacune n’est pas le seul point défectueux de l’état présent des choses qui ait été mis en lumière. Ce qui nous a surtout affligés dans ce débat, c’est l’attitude prise par les deux partis à l’égard du gouvernement. En réalité, c’est au gouvernement seul que l’on s’est adressé, ce n’est que la faveur du pouvoir que l’on a eu l’air de se disputer. D’un côté, l’on s’est plaint auprès du gouvernement, avec plus ou moins d’humilité ou d’amertume, d’avoir perdu sa protection et ses faveurs ; de l’autre, on a revendiqué pour les intérêts et les tendances contraires le bénéfice