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qui ne parlait qu’à sa pitié miséricordieuse. — Elle est sainte, me disais-je, elle aime saintement. Elle le grondera sans doute, mais il est déjà pardonné. Elle pleurera ses fautes avec lui, elle l’aidera à les réparer. Elle élèvera les enfans de la Zinovèse, ou elle veillera sur eux avec tendresse. Elle réussira à faire de lui un homme sage et fort, parce qu’elle aime avec force et que son âme est remplie d’une équité souveraine. Heureux, trois fois heureux, même avec un remords poignant, celui qui est aimé d’une telle femme !

Nous trouvâmes Pasquali au seuil de sa bastide. Le soleil était couché, et contre son habitude Pasquali n’était pas rentré à la ville. Il m’attendait avec impatience. Il avait aidé Paul, Nicolas et les enfans de la Zinovèse à débarquer. Il savait donc l’événement ; mais il n’avait pas osé leur parler de La Florade.

— Eh bien ! me dit-il, est-ce qu’il a beaucoup de chagrin, ce pauvre enfant ? Au diable la méchante femme qui se donne au diable ! Il n’avait plus rien à se reprocher, lui ! Vous l’avez laissé là-bas ?

Quand Pasquali sut que je n’avais pas vu son filleul, il ferma sa maison et sauta dans son canot en disant qu’il ne voulait pas laisser La Florade devenir fou auprès d’un cadavre, et qu’il le ramènerait coucher à son bord.

Le baron nous attendait à Tamaris. Il ne fit aucune réflexion sur ce qui s’était passé, et il aida la marquise à installer les enfans du brigadier, qu’elle consola et soigna comme s’ils eussent été à elle. Elle les fit souper avec nous, elle présida elle-même à leur coucher, et à huit heures on se sépara.

— J’avais beaucoup de choses à te confier, me dit le baron en rentrant ; mais voici une journée trop noire pour faire des projets. Laissons-la passer. Tu as besoin de repos, tu étais malade hier, tu t’es levé avant le jour, tu as eu des émotions très pénibles. Dors, nous causerons demain.

Ainsi l’horrible événement n’avait rien changé dans les projets de la marquise, rien ébranlé dans ses sentimens ! On laissait passer la triste journée, le lendemain on parlerait d’amour et de mariage ! Pourquoi non, après tout ? Si le bonheur n’était pas égoïste, il ne serait plus le bonheur, puisqu’il est un état de repos exceptionnel au milieu d’une vie où tout s’agite autour de nous dans la tourmente sans trêve et sans fin.

J’étais trop fatigué cette fois pour ne pas dormir. J’avais d’ailleurs plus que jamais la ferme résolution de me reposer vite et complètement, pour être encore prêt aux dévouemens du lendemain. Ma vie ne m’appartenait plus.

Bien me prit d’être endormi à neuf heures du soir : Marescat en-