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les mirent près du feu ; au bout d’un instant, elles fumaient en se couvrant d’une sueur résineuse à odeur de benjoin, et elles acquéraient une chaleur forte et persistante. Ils en remplirent le lit où j’avais fait déposer l’asphyxié. Ils lui en appliquèrent sur la poitrine, sur le dos, sur tous les membres, et les frictions violentes continuant sans interruption, au bout d’un quart d’heure les joues reprirent couleur, les yeux rougirent et s’ouvrirent avec égarement, un grand cri déchirant sembla vouloir briser la poitrine, et je n’eus plus à combattre qu’une crise nerveuse terrible, douloureuse, mais de bon augure.

Quand elle s’apaisa, je regardai fixement Estagel, qui ne nous avait pas quittés. Il leva les yeux au ciel, joignit les mains et dit simplement : « Dieu est bon ! » Ceci fut un mouvement si peu étudié et si religieusement vrai que tous mes soupçons se dissipèrent. La Florade avait dû être victime d’une cause fortuite.

Quand Pasquali arriva, La Florade était vivant, ce qui ne voulait pas dire qu’il fût sauvé. Des accidens imprévus pouvaient survenir, mais il vivait, il entendait, il voyait, il s’étonnait et faisait des efforts de mémoire pour comprendre sa situation.

— À présent, dis-je à Pasquali, envoyez à Tamaris, où l’on doit être mortellement inquiet, et faites dire que tout va bien, sans autre explication. Je ne puis vous répondre de rien ; j’ai un résultat inespéré, voilà tout, et on ne peut rien demander de plus et de mieux aujourd’hui à la nature.

La journée fut agitée, mais la nuit fut bonne, et le lendemain nous pûmes faire transporter le malade à la bastide Pasquali sur un brancard. Je m’étonnais de ne pas voir paraître la marquise ; elle ne descendit pas. Nous ne trouvâmes chez Pasquali que le baron, Mlle  Roque et les gens des deux bastides envoyés là pour nous attendre et se mettre à nos ordres. Quand La Florade fut couché, réchauffé de nouveau et réconforté par quelques gouttes de vin vieux et de bouillon, je témoignai mon étonnement à M. de La Rive. Je craignais que la marquise ne fût malade aussi.

— Non, me dit-il, elle a supporté courageusement toutes ces émotions ; mais elle ne descendra pas. C’est à Mlle  Roque qu’il appartient de soigner son frère. On s’est assuré qu’il ne manquerait de rien. On y veillera. Tous les serviteurs et toutes les ressources de nos maisons seront à la disposition du bon Pasquali, on a fait même tendre les fils d’une sonnette pour que les gens d’en bas puissent appeler ceux du haut de la colline à toute heure ; mais la marquise ne verra pas La Florade. Ce ne serait peut-être pas bon pour lui, et pour elle ce ne serait pas convenable. À présent tu peux le quitter pour quelques instans ; on désire te voir à Tamaris.