La marquise était seule au salon avec Estagel, qui revenait chercher ses filles et la remercier. Il avait enseveli sa femme dans la matinée. Peu s’en était fallu que le brancard qui rapportait La Florade à Tamaris n’eût rencontré le modeste convoi qui transportait la Zinovèse au cimetière du Brusc. Le brigadier était calme dans son abattement ; sa reconnaissance, sans expansion, était profonde. Quand la marquise lui offrit de garder ses enfans et de les faire élever, une larme vint au bord de sa paupière ; mais il la retint, et, ne sachant pas remercier, il fit le mouvement involontaire, aussitôt réprimé par le respect, de tendre la main à la marquise. Celle-ci le comprit, et lui tendit la sienne. La grosse larme se reforma et tomba sur la moustache épaisse du douanier.
— Vous comprenez, dit-il après un moment de silence. Mes enfans, c’est tout à présent ! je ne pourrais pas vivre sans ça. D’ailleurs j’ai de quoi les élever, et je ne voudrais pas leur voir prendre des idées au-dessus de leur état ; ce serait le plus grand malheur pour des filles.
Les petites rentrèrent et caressèrent avec adoration la marquise, qui permit à Paul de les reconduire avec Marescat jusqu’aux Sablettes. Le bon et généreux cœur de Paul se montrait là tout entier. Il embrassa si tendrement Estagel, que la force de l’homme fut vaincue par la grâce de l’enfance. Il fondit en larmes, et cet attendrissement le soulagea beaucoup.
La marquise me parla de La Florade avec le même calme et la même douceur que les jours précédens. Je remarquai avec surprise que sa figure n’était presque pas altérée, et qu’elle ne me faisait aucune espèce de question sur l’accident terrible auquel il échappait par miracle. Elle ne paraissait occupée que de moi ; elle savait par Marescat et par le brigadier les soins que j’avais prodigués à La Florade après avoir couru quelques risques pour le retrouver. Elle me témoignait, pour cette chose si simple, un attendrissement extraordinaire, sans aucune expression de reconnaissance personnelle.
Au bout d’une heure, je retournai auprès de mon malade. Il était animé et demanda à être seul avec moi ; mais à peine eut-il dit quelques mots, que je le sentis divaguer. Il voulait me parler de moi, de Nama, de la marquise ; mais le nom de la Zinovèse se mettait malgré lui à la place des autres noms. Il avait l’esprit frappé, et je craignis un sérieux désordre du cerveau, car il n’avait pas de fièvre. Je le fis taire. Peut-être avait-il bu un peu trop de vin. Je guettai tous les symptômes, et bientôt la fièvre se déclara sans cause déterminée. Le lendemain, j’hésitais encore sur la nature du mal. Vers le soir une fièvre cérébrale se déclara franchement, elle fut très grave ; mais la belle et jeune organisation du malade me