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autre chose. Doutant par son génie, il a cru par son siècle, qui ne lui renvoyait que des exemples de croyance et de soumission. Ce vide l’accabla. Comme sa raison, qui allait à tout briser, était seule de ce sentiment sous le règne de Louis XIV, il prit parti contre sa raison, il la brisa : abêtissez-vous, lui dit-il, la seule chose à faire dans une époque organique, comme disent les saint-simoniens, c’est-à-dire humble de cœur, soumise, prosternée. Félicitez-vous d’être né à genoux, maudissez l’arrogance de votre cœur, si la Providence, dans sa philosophie de l’histoire ou dans quelque gracieux dessein de mortification, a mis sur votre chemin une de ces misérables époques.

Ainsi l’aristocratie et ses mérites n’expliquent pas seuls cette confusion britannique de tous les pouvoirs locaux : aux meilleurs, il faut le concours des bons, l’appui de la conscience publique exprimée et avouée, l’opinion en un mot. Il ne faut pas oublier qu’en Angleterre cette puissance est légalement armée de toutes pièces, libre par les journaux, souveraine par le jury, dont relève directement toute fonction publique.

L’éducation est encore plus près de nous que l’opinion, et la famille est cette partie du public qui nous touche le plus intimement : beaucoup de choses dérivent de là chez les Anglais d’une certaine classe, de celle qui fournit ces fonctionnaires à toute fin. Ils sont nés, ils ont grandi au milieu des affaires publiques. Leur enfance s’est passée à entendre parler routes, écoles, arrestations, enquêtes autant que chevaux. Ils gouvernent de race pour ainsi dire. Comment ne seraient-ils pas capables de ce qu’ils ont toujours vu faire, et qui descend à eux comme une tradition naturelle et vénérée ? Ils tiennent en effet que ces soins font partie de leur rang, que ce pouvoir est un signe de caste, que ce patronage est leur privilège et leur patrimoine. C’est assez dire que s’il y a dans leur cervelle une lueur d’entendement, dans leur existence une heure lucide et appliquée, elle va se tourner vers l’affaire locale. Qui sait d’ailleurs ? Peut-être que cette jeunesse passée jusqu’à vingt-deux ans dans les universités en a rapporté çà et la, non pas quelque connaissance de la chose (rien ne ressemble moins à ce qu’on fait dans un comté que ce qu’on apprend à Oxford), mais une élévation et une ouverture générale d’esprit qui ne gâtent rien. Que les affaires se le tiennent pour dit : on n’a quelquefois qu’à se baisser pour être à leur niveau.

Au demeurant, soyez assuré qu’il n’y a de miracle nulle part, pas même ici. Rappelez-vous seulement que ces magistrats sont très nombreux, qu’ils n’agissent guère isolément, et que dans leurs sessions les plus entendus, qui ne sont pas toujours les meilleurs cavaliers,