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voir votre ami courir sur ces roches glissantes ! S’il tombait avec Paul ! Criez-lui donc de s’arrêter.

Elle oubliait que j’avais encore de la peine à parler et qu’un cri me déchirait la poitrine. Je criai quand même, et je courus au-devant de La Florade. J’étais si essoufflé du moindre effort que je ne pus dire un mot ; mais je lui fis ralentir le pas avec un geste d’autorité qu’il comprit.

— Est-ce que Mme d’Elmeval est par là ? osa-t-il répondre, quoiqu’il la vît fort bien.

Il mit Paul sur ses pieds, et m’offrant son bras : — Voyons, mon pauvre camarade, reprit-il avec un aplomb enjoué et affectueux, ça ne va donc pas encore ? C’est un peu loin pour vous, cette promenade ! Et puis il fait chaud !

— C’est Pasquali qui vous a dit où nous étions ?

— Pasquali ? Je l’ai rencontré à Ollioules, où il vous attend pour que vous le rameniez à La Seyne.

— Avec vous ?

— Non, j’ai à Sainte-Anne une carriole. J’allais me promener à Évenos ; mais ce que Pasquali m’a dit des grès de Sainte-Anne m’a donné envie de les voir. Je viens d’y grimper par le revers du côté du hameau. C’est très curieux !

Nous arrivions auprès de la marquise. Il débita son récit avec assurance et baisa la main de Nama, qui baisa sa propre main aussitôt à la dérobée d’un air de respectueuse dévotion. Quel sentiment mixte cette fraternité fictive faisait-elle naître ou endormait-elle dans le cœur de la métisse ? Je fus frappé, comme l’avait été le baron, de la chasteté de son attitude souriante et charmée ; mais je ne m’en préoccupai qu’un instant. Il m’importait bien davantage d’étudier la marquise et La Florade. C’était la première fois que, depuis ma maladie, je les voyais ensemble.

La Florade faisait visiblement pour l’approcher des efforts d’audace extraordinaires. Il n’avait point l’usage du monde bien librement acquis ; mais la tenue aisée et ferme du marin militaire remplaçait chez lui le convenu, et le remplaçait agréablement, je dois le dire. Il ne pouvait pas être gauche, quelque troublé qu’il fût intérieurement, et ce trouble se traduisait alors par un élan de précipitation heureuse et dévouée qui ajoutait à son charme naturel. Fort, agile, bien portant et bien trempé, jeune jusqu’au bout des ongles, expérimenté, sinon avec l’amour vrai, du moins avec la femme, il savait deviner et prévenir les moindres fantaisies, caresser les faiblesses, adorer les caprices, ne s’alarmer d’aucune froideur, ne se blesser d’aucun refus, croire toujours en lui-même, espérer toujours de la faiblesse du sexe, et se laisser manier comme