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Pasquali ou moi nous nous chargions de faire ta déclaration ? Est-ce sérieusement que tu nous demandes de jouer un pareil rôle ?

— Attends donc, attends donc ! dit en s’adressant à moi Pasquali, qui écoutait tout cela en comptant d’un air abasourdi les bouffées de sa pipe, on sait bien que tu es trop jeune pour porter la parole ; mais le vieux baron ? Il ne s’agit pas ici d’une déclaration d’amour en l’air. Quand on s’adresse à une femme honnête et respectable, c’est une supplique en vue du mariage, et ma foi, toute réflexion faite, La Florade est bien posé pour son âge ; il est homme d’honneur, il ne sait pas si Mme  Martin est riche ou pauvre, dûment ou indûment titrée…

— Je ne veux pas le savoir ! s’écria La Florade. Vous l’appelez marquise, et son vrai nom commence à circuler ; mais ce nom et ce titre ne m’apprennent rien, à moi qui ne connais pas le plus ou le moins d’importance relative des positions dans le monde. Notez que je ne sais absolument rien de sa fortune, que je la vois vivre comme une simple bourgeoise, et qu’elle peut n’avoir qu’un douaire très mince, révocable même. Notez aussi que je ne sais rien de son passé. Il a été irréprochable, mes yeux et mon cœur le sentent ; mais elle a pu, elle a dû aimer quelqu’un, elle aime peut-être encore ! Elle pleure peut-être un ingrat, elle se cache peut-être, parce qu’un misérable l’a compromise. Voilà ce que j’ai le droit de présumer. Eh bien ! tout cela m’est indifférent. Je suis sûr, si elle prend confiance en moi, de lui faire oublier ses peines, de venger ses injures, de faire respecter son avenir. Je lui donne tout mon être, ma jeunesse, mes deux bras, mon courage, mon âme à tout jamais, un nom que l’honneur ne désavoue pas, une volonté indomptable, une passion dévorante. Qu’est-ce qu’un autre homme lui offrira de mieux ? Des écus, des parchemins ? Je l’ai entendue parler, je sais qu’elle est au-dessus de tout cela, et qu’elle ne cherche que la vérité. La vérité, c’est moi, vérité farouche d’énergie et de conviction, entends-tu, docteur ? c’est la bonne, c’est la seule vraie. Dis tout cela au baron, et fais qu’il le voie et le comprenne.

— Oui, oui, dites-le au baron, répéta Pasquali, moi, je ne saurais pas ; mais, si vous le dites comme il vient de le dire, le vieux brave homme le croira, puisque moi… qui certes ne le gâte pas, ce drôle,… me voilà persuadé que cette fois il aime pour tout de bon.

— La Florade, répondis-je, il faut parler toi-même. En fait d’amour, on n’est éloquent et persuasif que dans sa propre cause. Va le trouver, dis-lui tout ce que tu as dit là et attends sa décision. Nul autre que lui ne peut t’aider.

— Mais on peut me nuire ! s’écria-t-il avec une impétuosité soudaine. Docteur, tu blâmes mon passé, tu ne me l’as pas caché, je