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au mois de juin 1788, et signa une adresse au roi pour demander le rétablissement des anciens états, suivant le mot. d’ordre donné par l’Auvergne et le Dauphiné. Dans ce mémoire, mélange bizarre de souvenirs féodaux et de théories radicales, on parlait de tout, de la cour plénière, des parlemens, des justices seigneuriales, des états-généraux, et enfin des états provinciaux. « La Guienne en particulier, sire, a toujours joui de l’avantage d’accorder librement des aides à ses souverains. En 1355, le prince de Galles assembla les états d’Aquitaine à Bordeaux, pour délibérer sur les secours qu’on pouvait accorder au roi de Castille. En 1367, il réunit les états-généraux de cette province à Niort, en Poitou. Peu de temps après, il les assembla encore à Angoulême. On lui accorda l’aide qu’il demandait, mais à condition qu’il reconnaîtrait tous les privilèges de la Guienne, ce qu’il fit par lettres patentes. En réunissant la Guienne à la couronne, Charles VII n’anéantit point ces privilèges ; le traité de 1451 les confirma au contraire dans les termes les plus forts. En conséquence, nos rois ont souvent assemblé les états-généraux de la province. Le prince Charles, frère de Louis XI, les tint à Bordeaux en 1469. En 1521, ils furent réunis pour la rédaction de la coutume ; en 1589, le maréchal de Matignon les assembla encore à Moissac : de sorte que la Guienne a toujours joui, comme le reste du royaume, et par conséquent doit jouir encore du droit inaliénable et imprescriptible de s’imposer elle-même. »

Ce langage laisse percer les prétentions qui. avaient poussé les Bordelais à la résistance. L’étendue de la généralité de Bordeaux paraissait trop petite à l’orgueil local ; on voulait reconstituer l’ancienne Aquitaine, en y comprenant le Poitou, l’Angoumois, la Saintonge, la Gascogne, la Haute-Guienne, le Limousin, c’est-à-dire le ressort entier du parlement, et les délibérations des assemblées provinciales étant soumises à l’approbation du roi, on ne se trouvait pas assez libre, assez indépendant, assez souverain. On ne se contentait même pas du nom d’états provinciaux, on voulait ressusciter les états généraux de la Guienne[1]. Importées en Auvergne par La Fayette, ces idées n’étaient pour lui qu’une fantaisie d’esprit, inspirée par le souvenir de la fédération américaine, et qu’il abandonna bientôt. À Bordeaux, elles avaient une réalité bien autrement vivante. Telles que Louis XVI les avait constituées, les assemblées provinciales conciliaient admirablement les droits des provinces avec l’unité de la monarchie. Tels qu’on les demandait à Bordeaux en 1788, les états provinciaux conduisaient tout droit à une fédération

  1. Recherches sur le droit public et les états-généraux de Guienne, par l’avocat Lumière, Bordeaux 1788.