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ni Jean-Jacques Rousseau citoyen de Genève : c’est un écrivain, un poète, un savant, un publiciste, un sage chrétien dans toute la splendeur de ce titre, l’illustre Haller. À moins d’être initié à l’histoire des lettres helvétiques et de la poésie allemande, on ne connaît guère dans notre France d’aujourd’hui cette vénérable figure ; la France du XVIIIe siècle la connaissait bien, et lui a rendu maintes fois un public hommage. En 1778, un critique sans enthousiasme, mais d’un esprit droit et d’une instruction variée, le baron Grimm, annonçant la mort de Haller dans son journal, l’appelait « le plus savant homme de l’Europe et le premier poète allemand à qui les étrangers aient rendu justice. » Ceux-là mêmes qui essaieront de porter atteinte à sa gloire ne feront que la mettre en pleine lumière. Si Condorcet, prononçant son éloge à l’Académie des Sciences, lui adresse de maussades plaisanteries au sujet de ses croyances religieuses, on voit trop bien qu’il s’approprie les longues rancunes de Voltaire contre l’homme qui avait résisté au monarque de la littérature dès son entrée à Genève, ou plutôt à cette date, en 1753, pour toute une partie de l’Europe, le vrai monarque, c’était Haller. Il était poète et savant à la fois, il avait marqué à jamais sa place dans chaque domaine des sciences naturelles, et sa poésie, comme un souffle des Alpes, avait réveillé l’imagination allemande assoupie. Quand il célèbre ses montagnes natales, ce n’est pas pour y chercher des lignes et des couleurs ; moraliste encore plus qu’il n’est peintre, une inspiration profondément humaine anime tous ses tableaux : il chante la saine vigueur de la vie alpestre, il chante ! e pâtre, le bûcheron, le chasseur de chamois ; il les suit dès les premières lueurs de l’aube jusqu’à l’heure où le ciel devient noir, il s’associe à leurs travaux, à leurs joies, à leur liberté patriarcale ; il aime et vénère en eux la vieille souche helvétique, car il est lui-même un homme des anciens jours, un grand exemplaire de la race républicaine et chrétienne de l’Oberland. Avec cela, quel esprit ouvert à la civilisation moderne ! Ce n’est pas lui qui maudirait la science au nom de la primitive nature ; la vigueur qu’il admire chez l’habitant des Alpes, il voudrait la voir se déployer dans tous les travaux de la pensée. Si ses peintures des montagnes révèlent une âme de poète, elles attestent aussi le grand naturaliste initié à toutes les découvertes de son époque, et qui a pour sa part élargi le champ de la science. Il y avait six ans que le poème des Alpes avait paru, quand le roi d’Angleterre et de Hanovre, George II, fonda l’université de Gœttingue (1735). On voulait que cette Georgia-Angusta, — tel est son nom. — fût vraiment une royale école, et que, formée la dernière parmi les illustres universités d’Allemagne, elle les égalât dès le premier jour en recrutant les meilleures forces du nouveau