siècle. Entre tous les maîtres que renfermaient les contrées de langue allemande, on songea d’abord au poète des Alpes, c’est-à-dire à l’écrivain qui, dans la physique, la botanique, l’anatomie, la physiologie, la médecine, dans l’étude de l’homme et du monde, occupait, au jugement de tous, la place suprême. Haller fut la gloire de Gœttingue ; il y passa dix-sept années, attirant la jeunesse studieuse de tous les points de l’Allemagne, remplissant l’Europe du bruit de ses travaux, mais les yeux toujours tournés vers la patrie qu’il avait chantée dans ses vers, et à laquelle il se sentait attaché par des liens invincibles. Un simple hommage populaire dans sa république natale avait plus de prix à ses yeux que tous les honneurs dont le comblaient l’Allemagne et l’Europe.
Lorsque Voltaire s’établit aux bords du lac de Genève, Haller venait de rentrer à Berne, et il était heureux d’y remplir les fonctions politiques les plus modestes. Malgré son titre de patricien, il aimait à donner l’exemple de l’humilité. Comment ne pas être ému en voyant un tel homme accepter avec reconnaissance l’occasion de servir la république sans bruit et sans éclat ! Il est vrai que son autorité morale n’y perdait rien ; la Suisse, en parlant de lui, s’accoutumait à dire : le grand Haller. Il représentait le christianisme uni à la science la plus haute : disciple scrupuleux de l’Évangile, il était de la religion de Pascal et de Newton. Les théories sceptiques ou matérialistes du siècle avaient déjà trouvé en lui un adversaire inflexible, quoique toujours calme et serein, et il devait couronner sa vie par une réfutation de Voltaire. « Je n’aime pas la tolérance, écrivait-il à un ami, quand elle m’est présentée par Voltaire. Ces philosophes ne seraient pas plutôt tolérés qu’ils nous persécuteraient. Ils ne persécutent encore qu’avec la plume. C’est beaucoup, parce qu’elle peut ôter l’honneur à un homme. S’ils étaient les maîtres, ils passeraient à des argumens plus solides… » Un jour que Voltaire essayait de l’associer à ses fureurs contre un de ses ennemis, et qu’il invoquait hypocritement l’intérêt des mœurs et de la religion, Haller, fixant sur lui son regard limpide, lui enseigne l’esprit de tolérance et de paix : « Il faut bien, lui écrit-il, que la Providence veuille tenir la balance égale pour tous les humains. Elle vous a comblé de biens, elle vous accable de gloire. Il vous fallait des malheurs : elle a trouvé l’équilibre en vous rendant sensible… Si les souhaits avaient du pouvoir, j’en ajouterais un aux bienfaits du destin : je vous donnerais la tranquillité qui fuit devant le génie… » Et comme Voltaire, avec cet art de séduire qu’il possédait si bien, lui avait envoyé pour ainsi dire son brevet de philosophe, Haller, qui ne veut pas d’équivoque, répond avec franchise : « Si par philosophe vous entendez un homme qui s’applique à se