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taient les documens officiels. A preuve, il fait remarquer la prohibition d’une autre culture qu’il cite, et qui fut prohibée dans le Guatemala, en alléguant la santé des Indiens, qui en faisaient une liqueur enivrante. Cette prohibition, dit-il, ne pouvait avoir rien de commun avec le système protectioniste, puisque la culture dont il s’agissait n’était pas pratiquée en Espagne; mais si ces gênes et ces interdictions ont été, comme on l’assure, inspirées par une pensée d’humanité, il n’en est pas moins vrai qu’elles relèvent de cette politique qui prohibe l’usage afin de prévenir l’abus, politique qui est la négation de la liberté, et qui s’attelle par derrière au char de la raison et du progrès. On n’aperçoit donc guère ce que la renommée de l’ancien gouvernement espagnol peut gagner à cette interprétation de ses apologistes. Ce qui en ressort au contraire, c’est sa condamnation, c’est l’explication des révolutions au milieu desquelles il s’est écroulé, non-seulement en Amérique, mais tout aussi bien dans la Péninsule[1].

Le beau idéal du genre est le dessein qu’avaient chaudement épousé un bon nombre de personnes, mais devant l’accomplissement duquel on recula, d’interdire la culture de la banane dans l’Amérique espagnole, afin, disait-on, de rendre plus laborieux les Indiens des régions chaudes. Les partisans de cette idée, que rapporte M. de Humboldt, raisonnaient à peu près de la sorte : la banane est une culture qui nourrit l’homme avec la plus grande facilité, donc elle encourage chez les Indiens les habitudes de la paresse, donc elle est un fléau, donc il faut l’extirper. Ce projet, qui tendait ouvertement à rendre difficiles avec préméditation les conditions de l’alimentation publique, avait, fort heureusement pour les populations, le tort d’être impraticable. Rien que pour le Mexique, vingt ou trente mille employés n’auraient pas été de trop pour surveiller les cultures et en faire disparaître la plante ennemie, dans les vallées escarpées qui, sur toute la longueur du pays, découpent le double plan incliné, disposé, comme nous le dirons plus tard, entre l’immense plateau qui constitue l’intérieur et le littoral des deux océans qui baignent le pays. C’eût été une armée dont la solde aurait ruiné

  1. C’est peut-être ici le lieu de faire remarquer que le régime des colonies françaises est encore, au moment où nous parlons, entaché du même vice que nous venons de reprocher au gouvernement espagnol. Le commerce d’une colonie avec l’autre est encore interdit ou entouré de tant de formalités et de restrictions que c’est l’équivalent de la prohibition. A la suite du traité de commerce avec l’Angleterre, le système libéral d’économie publique qui enfin prévalait en France a été appliqué aux colonies, en ce sens qu’on les a ouvertes au commerce étranger; c’est ce qui a été consacré par la loi du 3 juillet 1861; mais rien n’a été changé dans la législation qui régit le commerce intercolonial, il est vraisemblable qu’à cet égard des dispositions libérales se feront peu attendre.