Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/623

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le cri moqueur du geai, le roucoulement du ramier, le faisaient songer aux nids cachés sous la mousse ou perchés entre deux branches à la cime des grands arbres. Et il allait, chantant toujours, s’enfonçant de plus en plus dans un chemin étroit au-dessus duquel des châtaigniers au tronc noueux et fendu croisaient leurs rameaux à peine revêtus de feuilles naissantes. À l’extrémité de ce petit chemin coulait un clair ruisseau ; il roulait paisiblement sur un lit de sable et de cailloux, ombragé par des touffes d’aulnes dont les tiges élancées s’inclinaient au vent avec un sourd murmure : on eût dit que ces arbres au bois tendre et flexible se plaignaient du mouvement continuel que leur imprimait la brise.

Arrivées au bord de l’eau limpide, les vaches y plongèrent simultanément leurs naseaux, puis elles levèrent la tête d’un air béat et demeurèrent un instant immobiles, tandis que la chèvre et ses petits, suivant leurs instincts capricieux, s’écartaient du troupeau pour aller tondre les premières feuilles des saules. Le jeune pâtre poussait son cheval dans le ruisseau et l’y promenait à droite et à gauche en chantant toujours.

— Bonjour, Valentin, bonjour, mon enfant, dit tout à coup une petite voix qui s’élevait du milieu des aulnes.

L’enfant se tut instantanément et devint rouge comme une cerise. La même voix reprit : — Tout le monde va bien à la ferme du Cormier ?

— Oui, répondit l’enfant, mais si bas, si bas, qu’un rouge-gorge perché sur une branche à côté de lui pouvait seul l’entendre.

— Pourquoi ne veux-tu pas me répondre, mon enfant ? continua la même voix. Tu chantais si bien tout à l’heure !… As-tu donc peur ? Regarde-moi, regarde par ici !…

Valentin, qui tenait obstinément sa tête baissée, jeta un coup d’œil furtif du côté des aulnes. Il aperçut une petite dame, enveloppée dans une pelisse noire dont le ruisseau transparent réfléchissait l’image en l’allongeant d’une façon démesurée par l’effet du mouvement que les pas du cheval avaient imprimé à l’eau. L’endroit était solitaire et mystérieux. Persuadé qu’une fée venait de se montrer à lui, le jeune pâtre ressentit une frayeur mortelle. De rouge qu’il était, son visage devint pâle. Donnant de grands coups de talon dans les flancs de son cheval, il s’élança hors du ruisseau sans oser regarder en arrière. Un bruyant éclat de rire qu’il entendit sortir du milieu du feuillage acheva de lui faire perdre la tête ; il se mit à piquer avec son aiguillon la croupe des vaches flegmatiques, comme pour les engager à se soustraire par la fuite à quelque danger invisible. Ces bêtes patientes et timides partirent d’abord en galopant droit devant elles, puis se jetèrent dans un sentier écarté, secouant