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VALENTIN


RÉCIT DU BAS-MAINE.


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I.


Sa mère à peine l’eût coiffée,
Un beau soldat l’a-t-enlevée…


Celui qui chantait cette naïve chanson était un jeune paysan aux yeux bleus, aux cheveux blonds et bouclés. Monté sur un maigre cheval à longs crins, il conduisait à l’abreuvoir une demi-douzaine de vaches au poil luisant qui marchaient d’un pas lent et broutaient quelques touffes d’herbe le long des fossés. Une chèvre à la traînante mamelle marchait à l’avant-garde du troupeau, escortée de deux chevreaux qui s’en allaient à l’aventure, bondissant et s’attaquant l’un l’autre avec leurs cornes naissantes. Le petit pâtre, — il n’avait pas plus de douze ans, — poussait devant lui les bêtes confiées à sa garde, et tout en répétant gaîment sa chanson, il promenait son aiguillon sur son bras gauche, comme s’il eût appuyé l’archet sur les cordes d’un violon. Heureux enfant ! né loin des villes, insouciant et libre comme l’oiseau, fier de commander aux dociles animaux habitués à entendre sa voix, il rappelait, par sa physionomie rustique et gaie, les bergers que le peintre Berghem place avec tant de grâce dans les sentiers ombreux de ses paysages. Il ne pensait à rien, et pourtant il y avait une harmonie parfaite entre la joie sereine qui rayonnait sur son front et l’aspect souriant de la nature, qui s’épanouissait au souffle du printemps. Le même rayon de soleil qui couvrait de fleurs blanches la tige de l’aubépine faisait éclore dans son âme candide des sensations plus vives que de coutume. Le gazouillement de la fauvette, le sifflement du merle,