naient conseil en attendant des hôtes mystérieux. Comme le pauvre enfant était en sabots, le bruit que faisait sa chaussure de bois tandis qu’il parcourait les escaliers sonores retentissait d’étage en étage, et à chaque instant il tournait la tête, croyant entendre quelqu’un marcher derrière lui.
Valentin se sentait donc mal à l’aise dans ce vaste château, où il ne voyait d’autre habitant que Mlle Du Brenois, qui allait et venait en se prélassant dans ses robes de soie avec un bourdonnement pareil à celui que produisent les élytres du hanneton. Quand le dîner sonna, l’enfant, qui ressentait un violent appétit, s’assit timidement et de côté sur un fauteuil en face de sa protectrice, et se mit à croquer à belles dents le morceau de pain blanc placé près de lui.
— La frugalité est une bonne chose, mon enfant, dit Mlle Du Brenois avec un sourire ; mais il faut apprendre à savoir manger et aussi à se tenir à table… Joseph, redressez-le, et montrez-lui à étendre sa serviette sur ses genoux… L’enfant intimidé laissa tomber son pain sur la table, et, tandis que le laquais l’asseyait carrément sur son fauteuil, ses yeux rencontrèrent deux portraits de famille accrochés à la muraille. La représentation d’un visage humain de grandeur naturelle produit toujours une impression très vive sur les gens ignorans et simples qui ne voient que la réalité dans les œuvres de l’art. Valentin pâlit ; il demeura comme subjugué par les regards sévères que lançaient sur lui du fond de leurs cadres ces portraits imposans.
— Tu regardes ces portraits avec tant d’attention que tu oublies de dîner, dit Mlle Du Brenois. Ce sont mes aïeux, mon enfant. L’un, celui que tu vois là, revêtu de la cuirasse, la tête couverte d’une perruque poudrée, fut maréchal-de-camp dans les armées du roi ; l’autre était capitaine aux gardes. Ils périrent tous les deux sur le champ de bataille, le premier d’un coup de mousqueton, le second d’un biscaïen qui lui emporta la tête… C’est affreux à penser !
— Est-ce celui-là qui revient la nuit et qui se promène dans les escaliers du château ? demanda Valentin en se levant sur son fauteuil. La mère Jeanne en a parlé bien souvent.
— La mère Jeanne ne sait ce qu’elle dit, répliqua Mlle Du Brenois ; elle a répété une vieille histoire que l’on racontait ici il y a vingt-cinq ans, lorsqu’elle était employée au château… Mange donc, Valentin ; le second service est passé, et tu as encore ton potage devant toi…
Mais Valentin ne mangeait pas, il avait peur pour tout de bon. Les récits de la fermière du Cormier se retraçaient à son esprit avec tant de force qu’il croyait voir le capitaine aux gardes, frap-