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— À demain donc ! Puisque mademoiselle veut bien nous inviter à reparaître devant elle, nous serons exacts au rendez-vous, répliqua le signor Barboso, sans prendre garde qu’il n’avait pas été question de lui. — Il salua et gagna la porte à reculons, tandis que Valentin, ému et troublé, prenait congé de Mlle Du Brenois et de Rosette.


V.

Le lendemain, au moment où dix heures sonnaient, Barboso et Valentin montaient l’escalier conduisant aux appartemens de Mlle Du Brenois. Le déjeuner était servi dans un petit salon dont les fenêtres donnaient en plein sur la mer. Le temps semblait devoir se remettre au beau ; une jolie brise de nord emportait au loin les vilaines pluies qui avaient si fort effrayé les baigneurs. Assise dans son fauteuil, Mlle Du Brenois fit signe aux deux convives de se mettre à table. Si Valentin eût été seul, peut-être eût-elle consenti à prendre place devant lui : elle ne pouvait avoir la même condescendance à l’égard de son compagnon. Le signor Barboso n’en attaqua pas moins le déjeuner avec un merveilleux appétit ; mais Valentin, agité de mille pensées, ne songeait guère à manger : tantôt il fixait ses regards sur Rosette, qu’il retrouvait grande et jolie après une si longue absence, tantôt il les reportait sur Mlle Du Brenois, cherchant à lire sur le visage de celle-ci ce qu’elle se préparait à lui dire. Quand le repas tira à sa fin, Mlle Du Brenois s’adressa à Valentin en ces termes : — Il y a dix ans, mon ami, j’avais résolu de t’élever comme un fils ; tu ne l’as pas voulu, n’en parlons plus. C’est un malheur, mais non un malheur irréparable. Habitué à courir les champs, à vagabonder comme un petit sauvage, tu ne pouvais comprendre les avantages qui t’étaient offerts… J’ai ressenti un vif chagrin de ta fuite, mais il y aurait injustice de ma part à t’en punir ; d’ailleurs tu ignorais, — et personne ne l’a su jusqu’à ce jour, — quel motif me portait à te faire du bien. Pendant la révolution, un garde-chasse du château des Roches avait sauvé la vie à mon père, le marquis Du Brenois, blessé dans un combat contre les bleus. Ce fait, que je ne connaissais pas, me fut révélé quelques mois seulement avant ma visite à la ferme du Cormier. Ce garde-chasse était ton père ; je m’empressai de faire des recherches pour savoir s’il vivait encore. On m’apprit que, marié dans un âge avancé, il avait cessé de vivre depuis cinq ou six ans, laissant un jeune fils dont la naissance avait causé la mort de sa mère. Dès lors ma résolution fut prise : je courus à la ferme du Cormier réclamer l’orphelin à qui je devais payer la dette d’une reconnaissance trop tardive. Tu sais