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actions ?… Errant le long des chemins, le hasard me fit rencontrer le signor Barboso, qui voyageait avec sa troupe. Je n’avais pas de pain, il m’en donna ; je n’avais pas de famille, sa troupe m’en tint lieu ; je ne savais aucun métier, je pris celui que l’on m’enseigna, celui que l’on exerçait autour de moi… Ainsi je fus entraîné sans le vouloir, sans le savoir, dans une carrière d’aventures. À mesure que je me perfectionnais dans mon art, les ressources de mon maître allaient en diminuant ; ses anciens élèves l’abandonnaient. Devais-je alors renoncer à la profession que j’avais embrassée, laisser dans la détresse celui qui m’avait appris à gagner mon pain ?

— Héroïque enfant ! murmura Rarboso en portant son mouchoir à ses yeux.

— Ainsi pendant dix années, mademoiselle, j’ai fait le clown, le paillasse, j’ai paradé devant le public en costume d’Hercule, d’Apollon… Je me suis enfoncé deux côtes, je me suis foulé le pied et démis le bras, souvent j’ai eu à souffrir la faim, tout cela sans toucher de salaire et pour soutenir la fortune chancelante de mon pauvre maître. Ai-je donc à rougir de ma conduite, mademoiselle ? doit-il m’être interdit de paraître devant vous, comme si j’étais un mauvais sujet, un vagabond sans aveu ?…

Pendant qu’il parlait ainsi, de grosses larmes coulaient des yeux de Rosette, qui l’écoutait avidement, toujours appuyée sur le fauteuil de Mlle Du Brenois. Celle-ci avait aussi prêté une oreille attentive au récit de Valentin. Peu à peu son visage reprit sa sérénité accoutumée ; elle regarda fixement le jeune homme, et lui dit avec bienveillance : — Le pain que tu as mangé à la suite de ton maître a été arrosé de bien des larmes, mon pauvre Valentin ! Et c’est pour me fuir, moi qui te voulais tant de bien, que tu as enduré toutes ces misères !… Voilà bien l’enfant de nos campagnes du Bas-Maine, timide, défiant, ennemi de toute contrainte, cachant une imagination fantasque sous une apparence indolente ! Je pense que tu es guéri maintenant de tes folles terreurs. Voyons, Valentin, veux-tu être raisonnable et quitter la carrière aventureuse où tu t’es imprudemment engagé ?

Valentin jeta un regard sur le vieux Barboso ; il n’osait parler sans avoir son avis. Celui-ci, se penchant à son oreille, lui dit tout bas : — Réponds oui, Fabricio, je te le permets. Sachons où elle en veut venir…

— Je consens à tout abandonner, répliqua Valentin.

— Eh bien ! demain matin je t’attends ici, nous causerons plus en détail. Je suis trop agitée maintenant pour prolonger cet entretien… Et puis j’ai besoin de réfléchir mûrement sur ce que j’ai à te proposer.