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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/681

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point en effet : ce que nous voyons, ce n’est pas une crise vulgaire qui peut se dénouer par un vulgaire traité de paix; c’est la lutte de deux ordres de choses, de deux principes, et on le proclamait l’autre jour dans une assemblée française, ce droit nouveau qui est celui des peuples, en face duquel les vieilles combinaisons de la politique sont réduites à une défensive laborieuse et inquiète. C’est la question qui s’agite au moment présent, c’est le problème qui se manifeste sous mille formes saisissantes, à l’orient comme à l’occident, au midi comme au nord.

Certes un des plus curieux de ces épisodes, un des plus émouvans de ces spectacles contemporains, c’est ce dramatique tête-à-tête qui s’est poursuivi pendant une année, au nord de l’Europe, entre deux puissances si inégales, la Russie et la Pologne, l’une embarrassée de sa force et des traditions de sa politique, l’autre se faisant de sa faiblesse même et de son droit un bouclier inexpugnable. Rien n’y a manqué, ni l’imprévu, ni l’originalité passionnée des démonstrations, ni les scènes tragiques, ni même ces fatalités mystérieuses qui font quelquefois des allaires humaines un véritable drame : vrai drame en effet qui a son nœud au cœur d’un pays, qui a eu ses péripéties, ses personnages, et à travers lequel passe, comme le chœur antique, tout un peuple poussant au ciel ses supplications et ses plaintes! Pendant une année, on a vu ce spectacle d’un mouvement d’une nature toute morale, d’un caractère tout nouveau, venant se placer en face d’une politique étonnée de se trouver si faible avec tant de moyens de domination matérielle et réduite à épuiser sans conviction tous les expédiens des concessions apparentes ou des compressions inefficaces. Puis, après une année, tout a semblé rentrer dans le silence, ou du moins les manifestations extérieures ont cessé; mais la démonstration était faite. Ce qu’on croyait mort était encore plein de vie ; cette assimilation des provinces polonaises que la Russie croyait déjà presque accomplie n’était pas même commencée, et l’Europe voyait à l’improviste se relever cette question de la Pologne avec son cortège de difficultés épineuses où se trouvent engagés tout à la fois le destin d’un peuple, la politique d’un grand empire et l’équilibre de l’Occident lui-même. L’Europe a senti par un vague instinct qu’elle n’en avait point fini avec ce problème qui se complique étrangement sans doute de la multiplicité des dominations et des régimes étendus aux terres polonaises, qui change de forme suivant le hasard des démembremens et des traités, qui n’est point le même à Posen et à Cracovie, à Varsovie et à Wilna, dans le royaume, dans la Lithuanie ou dans l’Ukraine, mais auquel le sentiment national, partout identique et partout vivant, communique une indissoluble unité. C’est