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en effet le caractère de cette question à la fois si énergiquement simple et si complexe, qui porte en elle-même le résumé de tous les conflits de notre temps, qu’on croit trop souvent étouffée sous le poids des impossibilités, et qui se réveille au moment où on s’y attend le moins dans une palpitation de patriotisme comprimé. Je voudrais la montrer, cette question, dans son explosion la plus récente, dans ses clémens et dans sa marche comme dans son rapport avec tout ce qui s’agite ou se prépare en Europe, et jusqu’au sein même de la Russie.

Il est un événement qui ne date pas encore de bien loin et qui a été déjà la source de bien des choses contemporaines, c’est la guerre d’Orient, cette guerre qui ne fit rien pour la Pologne directement et ostensiblement, il est vrai, mais qui fut sur le point de faire beaucoup, plus qu’on ne l’a cru peut-être. Au moment où se dénouait ce grand conflit, on le sait aujourd’hui, le nom de la Pologne avait dû retentir dans le congrès de Paris avec celui de l’Italie. La France et l’Angleterre étaient d’intelligence, le jour était choisi. Ce fut l’habileté des plénipotentiaires russes, du comte Orlof surtout, d’éluder cette évocation importune en intéressant les sympathies mêmes de l’Occident au silence, en promettant plus qu’on ne pouvait demander, à la condition toutefois que l’Europe laissât au tsar la liberté et la spontanéité de ses concessions. Ce n’est plus un mystère, lord Clarendon l’a dit un jour dans le parlement anglais, en répondant à lord Lyndhurst, ce vieux champion des causes libérales : « Nous avons eu des motifs sérieux de croire que l’empereur de Russie à l’égard de la Pologne était généreux et bienfaisant. Nous avons dû admettre que l’empereur était non-seulement disposé à décréter une amnistie générale, mais encore à rendre aux Polonais quelques-unes de leurs institutions nationales, qu’ils recevraient des garanties pour l’exercice de leur religion, que l’instruction publique en Pologne allait être établie sur un pied plus libéral et plus national. Nous avons enfin cru être fondés à espérer que la Russie allait renoncer pour toujours au système de sévérité qu’elle avait jusqu’alors pratiqué. Mus par ces convictions, nous avons dès lors renoncé à discuter cette question. » Le comte Orlof promit, le congrès de Paris se tut, et un mois était à peine écoulé que l’empereur Alexandre II, en promulguant une amnistie qui était une déception cruelle, selon le langage de lord Clarendon lui-même, adressait à la noblesse polonaise, à Varsovie, deux allocutions où il lui disait avec hauteur : « … J’entends que l’ordre établi par mon père soit maintenu. Ainsi, messieurs, et avant tout, point de rêveries, point de rêveries !… Le bonheur de la Pologne dépend de son entière fusion avec les peuples de mon empire. Ce que mon père a