manière singulièrement saisissante dans les derniers momens du prince Gortchakof, surpris tout à coup par la mort au milieu de ces luttes, deux mois après les scènes du 8 avril. On dirait que les tragédies intimes de la Pologne ont quelque chose de fatal pour les fonctionnaires russes. Déjà le prince Paskievitch, à son lit de mort, avait été troublé, dit-on, par une apparition sinistre : il voyait toujours se dresser devant lui une ombre, celle de la mère du comte Zawisza, qui était venue inutilement se traîner à ses genoux pour demander la grâce de son fils. Les derniers momens du prince Gortchakof étaient pleins des mêmes troubles. On racontait à Varsovie que, depuis les scènes sanglantes de février et d’avril, il était saisi parfois d’hallucinations étranges ou de sombres irritations. Peu de jours avant sa mort, il s’était rendu à la gare du chemin de fer pour chercher la princesse Gortchakof, sa femme, qui arrivait de voyage. Il aperçut un des principaux banquiers de Varsovie, et, courant à lui : « Ah! c’est vous, dit-il, qui faites le patriote! Je saurai vous écraser! Je saurai venir à bout de vos maudits étudians! Je ferai de vous tous poussière à ma guise! » Dans les derniers jours de sa vie, il voyait partout des femmes noires qui le suivaient, marchant à côté de lui. « Oh ! les femmes noires, les femmes noires, les voilà encore! Éloignez-les! » disait-il. D’autres, on le verra, devaient succomber d’une manière plus tragique encore, et le successeur immédiat du prince Gortchakof, le général Souchozanett, lieutenant temporaire de l’empereur en Pologne, ne laissait il pas percer quelque chose de ce trouble secret dans quelques paroles qu’il prononçait avant de quitter Varsovie? « Vous pourrez, disait-il, m’accuser d’être un homme malhabile, mais vous ne pourrez pas dire que je suis un bourreau : je n’ai fait fusillé personne. » Fatalité étrange d’un système qui pèse sur ceux qui l’exercent comme sur ceux qui le subissent, et qui se relevait tout entier après le 8 avril en face d’une population frémissante!
Un homme s’est rencontré pourtant au milieu de ces événemens qui a tenté un effort suprême de conciliation, et ce n’est pas la figure la moins caractéristique, la moins originale de ce drame aux scènes passionnées et émouvantes : j’ai nommé le marquis Wielopolski. A dater du 1er avril, il prenait une place prépondérante dans les conseils du gouvernement, et son rôle n’est point fini encore sans doute. Le marquis Wielopolski, je l’ai dit, était à Varsovie au mois de février; il suggérait la pensée d’une adresse à l’empereur demandant une constitution, mais commençant par un acte de soumission, par un témoignage de repentir et une sorte de désaveu de la révolution de 1830. N’ayant pu faire prévaloir son idée, il refusait de signer l’adresse envoyée à Pétersbourg et se tenait en