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leurs, et qui ressemble parfois à une légende, ce n’est point la convulsion d’une nationalité expirante, et poussant une sorte de cri fatidique avant de mourir ; c’est au contraire une force qui pendant trente ans se retrempe, s’épure, se discipline, et qui apparaît à la fois enthousiaste et tranquille. Quels sont donc les traits d’une nationalité véritable ? Est-ce le génie de l’intelligence et de l’imagination ? La Pologne a compté dans ce siècle toute une légion de poètes d’une singulière puissance d’inspiration, et elle a encore toute une littérature vivace et variée. Même sans avoir toujours droit de cité dans ses écoles, sa langue a subsisté. Est-ce le sentiment du passé et des traditions ? Ce sentiment éclate partout depuis un an. Est-ce l’originalité des mœurs et de la vie ? Les mœurs polonaises ont gardé toute la saveur du caractère national, et ce n’est point assurément l’influence russe qui les a pénétrées. Est-ce par l’unité des classes, par la paix sociale, qu’une nationalité apparaît dans son intégrité et sa force ? Ce que le mouvement actuel a montré précisément, c’est cette unité, cette fusion des classes scellée par l’abolition des dernières traces du servage, par l’avènement définitif des paysans à la propriété, avènement favorisé, réalisé par les propriétaires eux-mêmes d’une façon à la fois libérale et pratique, car si on ne voit quelquefois de cette agitation que les dehors dramatiques et émouvans, il y a aussi sous la passion un esprit politique sagace, patient, éclairé par toutes les fautes et par toute 1 histoire du passé. Est-ce enfin la religion qui est un des signes d’une nationalité sérieusement vivace ? La religion est partout dans ce réveil polonais qui se manifeste par des hymnes, qui se réfugie et se concentre à un certain moment dans les églises. Il est sans doute de grands démocrates pour qui la Pologne est suspecte à cause de cette fidélité religieuse ; ils ne voient pas que non-seulement dans la souffrance il y a quelque chose qui rouvre toutes les sources du sentiment religieux, qui l’élève parfois jusqu’à un mysticisme passionné, mais encore que dans un pays comme la Pologne l’église est la seule force organisée, le seul corps ayant sa loi, son indépendance. Le catholicisme est réellement une des formes de la nationalité polonaise. Seulement à ce catholicisme s’allie désormais un large sentiment de tolérance, et on a vu prêtres, évêques, rabbins, pasteurs protestans, rapprochés dans les mêmes manifestations et dans les mêmes répressions. Le catholicisme polonais réalise ce phénomène, qui par malheur n’existe point partout, d’une alliance intime, profonde, de la religion avec tous les instincts de nationalité et de liberté, et c’est par l’ensemble de ces caractères que l’agitation polonaise est bien autre chose qu’une fièvre éphémère de révolution faite pour tomber sous une répression violente.