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De là aussi ce qu’il y a dans ce problème d’éternellement menaçant pour la Russie elle-même, réduite à soutenir une lutte ingrate autant qu’impuissante, qui la compromet souvent aux yeux de l’Europe, qui engage toute sa politique, et qui pèse sur son propre développement intérieur. Je ne sais ce qui arrivera, nul ne pourrait le dire. La Russie peut sévir encore, elle peut s’adoucir, le problème reste le même et s’aggrave sans compensations pour l’empire des tsars. Lorsque la Russie, il y a un siècle, réalisant la pensée de Pierre le Grand, marchait sur la Pologne pour la dissoudre et recueillir ses dépouilles, elle violait assurément toute justice; mais elle avait une raison : elle voulait se rapprocher de l’Occident, et entrait par là dans les affaires de l’Europe. Tout n’a-t-il pas changé? La puissance russe a-t-elle besoin aujourd’hui de la Pologne pour avoir un rôle dans les affaires du monde et de l’Europe? Il y a une chose qui rapproche désormais la Russie de l’Occident bien plus que sa présence à Varsovie, c’est cette multiplicité de communications, ce mélange de toutes les idées et de tous les intérêts, ces lignes de fer qui rapprochent tout, qui font disparaître les distances. Et qu’arrive-t-il? C’est que pour soutenir une domination toujours précaire, toujours contestée, parce qu’elle n’a pas su aller au moment opportun au-devant des vœux les plus légitimes, la Russie compromet toute sa politique; elle est à chaque instant entravée dans les combinaisons de ses alliances, car entre elle et ceux qui pourraient être ses alliés s’élève sans cesse ce fantôme de la Pologne. Et ce n’est pas seulement sa politique extérieure qui est gênée, engagée, c’est toute sa politique intérieure, liée par les nécessités d’une incessante compression. Le grand Chatam disait : « Si le gouvernement anglais soumet l’Amérique au despotisme, par cela même l’Angleterre sera obligée de s’y soumettre. » Et voilà justement le lien de cette récente agitation polonaise et des aspirations libérales qui se manifestent aujourd’hui en Russie. Ce n’est plus un mystère que dans toutes les classes de la société russe les sentimens de sympathie pour la Pologne se propagent rapidement, et on entrevoit, sans s’en émouvoir, la possibilité d’une séparation des deux pays. Un journal clandestin de Pétersbourg, le Welicorus, le disait avec netteté il y a peu de temps : « Pour exercer notre pouvoir sur la Pologne, nous sommes forcés d’y maintenir une armée supplémentaire de deux cent mille hommes, de dépenser annuellement quarante millions de notre argent, outre celui que nous tirons de la Pologne. Nos finances ne s’amélioreront pas tant que nous gaspillerons ainsi nos ressources. Il nous faut quitter la Pologne pour nous sauver nous-mêmes de la destruction... Nous ne pourrons plus aujourd’hui vaincre les Polonais comme du temps de Paskievilch, car