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multe, à peine indiqué, suffit à faire mieux sentir l’obstination, l’acharnement et le mystère de la lutte.

Je n’ai pas le courage de demander compte à M. Delacroix d’une légère inexactitude dans l’interprétation de son texte. C’est à la première aube que le combat devrait finir, et il fait clair dans son tableau à peu près comme en plein midi. Peut-être qu’un effet de lumière plus douteuse, de jour naissant, de crépuscule, aurait jeté sur cette scène quelque chose de plus poétique encore, et comme une teinte énigmatique en rapport avec le sujet ; mais d’un autre côté je ne m’étonne pas, quand on a du soleil sur sa palette, qu’on tienne à en tirer parti. Aussi mon regret le plus vif n’est pas cette licence que s’est donnée le peintre d’éclairer un peu trop son œuvre, c’est qu’il soit si difficile de la bien voir, d’en jouir à son vrai point de vue. Cette chapelle est trop étroite ; le spectateur n’a pas assez de reculée. Vous voyez un peu moins mal l’Héliodore que le Jacob, parce qu’en sortant de la chapelle et en reculant de quelques pas sous les voûtes du bas côté, vous l’apercevez encore, et à bonne distance ; c’est même en s’éloignant davantage, en se plaçant au point de jonction de la grande nef et du chœur, en dirigeant son regard à travers les arcades sur ce qui apparaît de l’Héliodore, que l’on peut vraiment juger de la puissance de cette coloration, et sentir combien la distance lui donne d’harmonie, de transparence et de légèreté.

Encore un mot : je voudrais ne pas oublier, dans l’intérieur de la chapelle, aux quatre coins de l’ovale du plafond, sur les pendentifs de la voûte, ces quatre anges en grisaille, si calmes, si modestes, si sobrement disposés pour marier en quelque sorte par des tons neutres et presque éteints le lumineux éclat des parois latérales et l’éclat chatoyant du plafond. J’insiste sur ces quatre anges, parce que j’y vois une de ces contradictions piquantes qui abondent chez M. Delacroix. De même que lorsqu’il lui prend envie de faire de la critique, lorsqu’au lieu d’un pinceau c’est une plume qu’il manie, ses goûts, ses idées, ses préceptes deviennent châtiés, on pourrait presque dire classiques, de même ici, dans ces grisailles, la couleur mise de côté, il semble écrire au lieu de peindre. Si j’ose ainsi parler, c’est sa palette qui le grise, ou tout au moins qui lui suggère des séductions, des entraînemens de couleur dont sa raison n’est plus maîtresse.

Et maintenant faut-il conclure ? Faut-il donner le dernier mot de tous ces jugemens un peu contradictoires que je viens de risquer en passant ? Je n’ai pas besoin de dire que mes instincts, mes goûts, mes convictions, mes préférences, sont presque à chaque instant froissés par M. Delacroix, et que je goûte néanmoins, que je comprends, que j’aime son talent, quelle conclusion logique puis-je