dans une ivrognerie dégradante que suit la fièvre, et il meurt presque subitement (avril 1860). La mission, qui lui refuse la sépulture ecclésiastique, voit presque toute la colonie se soulever contre elle, et comme le grand chasseur des noirs ne peut mourir obscurément dans une ville qui s’enrichit du sang des noirs, l’autorité, sur je ne sais quelle réquisition, fait rendre au négrier les mêmes honneurs militaires qu’à un haut fonctionnaire européen.
On jugera par un seul fait des résultats meurtriers de ces guerres sans trêve. La tribu des Angadj, limitrophe de divers établissemens européens, écrasée par plusieurs razzias successives, a passé le Fleuve-Blanc, pour aller s’établir bien loin des blancs dans la direction du Saubat. On peut s’étonner que les malheureux noirs, tant décimés, n’aient pas songé à réunir leurs forces contre des établissemens éparpillés sur une surface immense ; mais d’une part une coalition au nom du salut public est à peu près impossible chez les nègres de cette région, dont l’intelligence n’a jamais pu s’élever jusqu’à la conception d’une organisation par tribu ; en second lieu, une tentative de résistance collective, faite en 1857 au Bahr-el-Gazal, n’avait abouti qu’à un échec. Le consul d’Angleterre à Khartoum, M. John Petherick, qui s’était avancé jusque chez les Djour avec une force assez respectable, fut averti que trois ou quatre petites tribus avaient formé le projet de lui couper la retraite. Cette levée de boucliers avait été provoquée, dit-il, par les excès de ses confrères. Il voulut par un coup d’éclat dissoudre la ligue, et envoya une partie de ses hommes attaquer le premier village des coalisés qu’ils rencontreraient. Ceux-ci assaillirent au hasard une zeriba (parc à bétail) d’une tribu amie, les Djeroui, y tuèrent trente-trois hommes, et parmi les morts se trouva précisément le vieux Mekuandjid, chef des Nianglar, l’âme de la ligue. Celle-ci se désorganisa sous l’influence de cette défaite, et M. Petherick fit sa paix particulière avec les Djeroui en leur rendant le butin et les prisonniers saisis dans la zeriba.
Les noirs avaient donc pour premiers ennemis leur propre imprévoyance et leur ignorance de leur intérêt collectif. Il semblait que leur besoin le plus essentiel fût, non de vivre et d’assurer la sécurité de leurs familles, mais de se couvrir de verroteries. Il s’ensuivait que les guerres les plus sanglantes dégénéraient forcément en luttes locales, et que les traitans étaient accueillis à bras ouverts à cinq ou six heures d’un mechera ensanglanté par quelque odieux massacre. Au contact des blancs, mais surtout des Nubiens, les plus corrompus des hommes, les qualités natives du nègre faisaient place à une dépravation éhontée et grotesque. Quand je visitai Ulibo en janvier 1861, mon vekil me parla d’un chef du lieu qu’il avait vu cinq ans auparavant, et me le vanta comme un parfait gentleman