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pourquoi les blancs en savent plus long que nous. » Les Denka ont sur la création un chant antique et singulier :

Au commencement, quand Dendid créa toutes choses,
            Il créa le soleil ;
Et le soleil naît, et meurt et revient.
            Il créa la lune,
Et la lune nait et meurt et revient.
            Il créa les étoiles,
Et les étoiles naissent, et meurent et reviennent.
            Il créa l’homme,
Et l’homme naît, et meurt et ne revient plus…[1].

Les missionnaires tombaient donc fort mal au milieu de ces utilitaires. Ils venaient parler de mystères et de sacremens, et on leur demandait des recettes pour augmenter le lait des vaches. Tant qu’ils purent accorder des primes aux convertis, distribuer des verroteries ou du dourrah, tout alla bien ; mais du jour où les distributions cessèrent, adieu les catéchumènes. On maltraitait les missionnaires de Gondokoro, on ouvrait les portes de l’église, et on sonnait les cloches à toutes volées pendant des heures entières. On avait suivi, comme on le fait trop souvent dans les missions catholiques, une voie fausse, celle de la pratique avant tout. Au lieu de distribuer des médailles miraculeuses et d’apprendre le chant d’église aux noirs, il valait mieux faire entrer dans leur cervelle rétive quelques préceptes de morale épurée, et, par une participation à la civilisation matérielle, les préparer à recevoir les idées de la civilisation morale. C’est là, j’en suis convaincu, le secret des succès durables obtenus par la propagande protestante dans l’Océanie et tout le sud de l’Afrique. Le missionnaire protestant, français, anglais ou américain, ayant généralement sa femme et ses enfans près de lui, agit sur les sauvages par l’exemple incessant d’un type de cette famille civilisée à l’idée de laquelle il veut les convertir. Pendant qu’il apprend aux hommes de la tribu à cultiver la terre, à ne pas s’entr’égorger, à se contenter d’une seule épouse, sa femme réunit autour d’elle les jeunes filles et les façonne à cet ensemble de vertus et d’idées acquises qui rend la plus humble paysanne d’Europe si supérieure à toutes les reines africaines. La parole, tombant sur un terrain ainsi fécondé, y pénètre d’elle-même et n’en sort plus. Les plus intelligens des missionnaires catholiques sont déjà entrés dans cette voie ; je citerai en première ligne D. Kircher, provicaire apostolique de Khartoum, et D. Stella, l’apôtre des Bogos.

Partout où la traite des noirs existe, il faut constater, à la louange des missions de toutes les nuances chrétiennes, qu’elle les a pour

  1. D.-G. Beltrame, Dizionario della lingua denka (inédit).