ennemies acharnées. On sait combien Livingstone a été persécuté par les Boers, ces colons demi-brigands qui avaient si plaisamment réussi à se poser aux yeux de l’Europe comme des victimes de la persécution anglaise. Sur le Nil, les missionnaires, voyant leurs ouailles décimées par les négriers jusqu’aux portes de leurs églises, ont résolument pris en main la cause des victimes et fait parvenir coup sur coup à leur consulat général des réclamations qui sont restées sans résultat par suite de considérations politiques, mais qui forment un dossier de la traite utile à consulter.
En 1861, la congrégation autrichienne a repris possession de ces missions dévorantes où, depuis douze ans, trente-trois prêtres ont péri et quatre seuls ont survécu. L’humanité doit regretter que, du fond de leurs comfortables résidences de tienne, les directeurs de l’œuvre envoient froidement et obstinément à la mort des hommes qui obéissent en silence, mais qui savent bien que leur énergie serait mieux employée ailleurs. Je rencontrai chez les Kir le père Franz Morlang, qui allait réoccuper Gondokoro, d’où je revenais. Je ne lui cachai pas que je n’y avais trouvé aucune trace de catholicisme, « Ce n’est pas étonnant, me dit-il : quand, à force de peines, nous étions parvenus à civiliser un noir, les négriers le trouvaient bon à prendre. Le peu de néophytes que nous avons faits chez les Bary ne sont pas ici : ils ont été fusillés ou sont esclaves à Khartoum. »
Tel était le bilan de la traite sur le Nil à la fin de 1861. On nous rendra cette justice que nous avons raconté impassiblement, trop impassiblement peut-être, une histoire lugubre, bien faite pour indigner les hommes de cœur. La traite a cependant ses avocats parmi les Européens d’Afrique : à les entendre, ce n’est là qu’une question de budget et une branche du commerce national. Il n’y a que peu de mots à leur répondre : « Pour élever hâtivement des fortunes sans consistance, pour établir un crédit si fictif que l’intérêt de l’argent était en octobre 1860, sur la place de Khartoum, de 36 pour 100, on a fermé le Fleuve-Blanc au commerce pacifique, on a détruit ou déplacé des tribus, dépeuplé des cantons fertiles, dépravé des populations civilisables, jeté depuis dix ans soixante mille nègres sur tous les marchés musulmans des environs, tué par la balle ou la faim de cent à cent cinquante mille malheureux. Quel résultat pour tant de crimes ! »
J’ai exposé le mal. On me demandera si j’ai quelque remède à offrir. Je me garderai bien d’indiquer à la diplomatie européenne dans le Levant, gardienne vigilante des droits de l’humanité, des solutions qu’elle est plus capable de trouver que moi. Les négriers comptent sur son indifférence : ils ont grand tort. Rien ne m’a plus rafraîchi l’âme, à mon retour de cet enfer du Soudan, que de trouver dans les chancelleries consulaires d’Égypte un écho de mes