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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/79

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diminuant. La facilité des communications par les voies ferrées et par les chemins intérieurs améliorés permet de résider aux champs et de faire valoir ses terres sans s’isoler de la vie sociale ou publique. En même temps une éducation plus forte et plus sérieuse préparera la femme à se passer des vaines excitations de la vanité pour se contenter du bonheur paisible qu’on trouve dans le cercle de la famille et dans cette direction du travail agricole, toujours semée d’incidens nouveaux et accompagnée de satisfactions inattendues dès qu’on s’y intéresse. Pour aimer la nature, c’est assez d’apprendre à entrevoir ses opérations merveilleuses. La moindre connaissance des lois qui régissent la vie végétale et animale suffit pour qu’on se plaise à en suivre les diverses applications aux champs ou dans l’étable. Bientôt, à tous les spectacles que l’art crée dans les villes pour la curiosité oisive, on préférera ceux mille fois plus splendides qu’offrent les prés, les bois, les campagnes, la nuit étoilée, et le jour dans l’infinie variété des heures et des saisons : les fêtes qui consacrent les phases principales des travaux champêtres feront oublier toutes celles qui se donnent dans ce que l’on appelle le monde. En terminant ces études, je ne puis dire avec assez de force combien je suis convaincu de tout ce que ferait pour la prospérité de l’état et pour la félicité privée un retour plus général des classes aisées vers les intérêts agricoles. C’est en m’arrêtant parfois dans une exploitation dirigée par un propriétaire intelligent qui consacrait les ressources de sa fortune et les forces de son esprit à améliorer, à embellir son domaine ; c’est en appréciant cette large aisance, ce bien-être réel où rien n’est sacrifié à l’apparence et où tout est donné aux véritables commodités de l’existence, en entendant la maîtresse du logis me parler avec autant d’enthousiasme des produits de. son verger, de son étable ou de sa basse-cour que de la beauté d’un paysage ou de l’harmonie d’une association fortuite de fleurs sauvages ; en voyant sur les joues fraîches et rebondies des enfans fleurir la force et la santé, c’est alors que j’ai compris toute la vérité de cette maxime appréciée des Romains au temps de leur liberté : « rien de meilleur, rien de plus productif, rien qui soit plus agréable et plus digne d’un homme libre que l’agriculture ! »


EMILE DE LAVELEYE.