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et laisse plus de marge pour les œuvres à la fois humaines et productives. Dans son livre prophétique de l’Ami des Hommes, le marquis de Mirabeau dit qu’en parcourant les campagnes il reconnaissait au premier coup d’œil les terres occupées par leurs seigneurs. Rien de plus fondé que cette remarque. La résidence du propriétaire est un bienfait qui se traduit par mille détails, dont l’ensemble amène peu à peu la transformation des lieux qu’il habite, car la propriété, ce n’est rien moins que la puissance de disposer du produit net. Si, rentrant dans sa demeure, où rien ne manque, il passe à côté d’une vieille chaumière qui laisse entrer le vent et la neige à travers ses ais mal joints, il la fera réparer et peut-être rebâtir ; voit-il de ses yeux que la ferme voisine a besoin d’une fosse pour recueillir l’engrais, seul moyen d’augmenter la fertilité du sol, ou d’une bonne étable pour abriter le bétail, il les fera faire de manière même à contenter ce penchant naturel qui porte l’homme vers le mieux. Rencontre-t-il le chariot de son fermier arrêté dans la boue d’un chemin défoncé, dont ses légers équipages ont aussi à souffrir, il emploiera son influence à la commune ou auprès des administrations supérieures pour que la route soit mise en meilleur état, et lui-même n’y épargnera pas quelques sacrifices, Traverse-t-il un pré marécageux couvert de joncs et dont l’humidité malfaisante est trahie par les vapeurs blanches qui s’en échappent à l’automne, il songera à le faire drainer ; s’apercevant qu’une hausse de fermage, qui de loin ne représentait pour lui qu’une augmentation de revenu, est souvent, vue de près, la cause des plus dures privations pour ceux qui la subissent, il sera moins porté à la leur imposer. Et ainsi une partie de la rente, détournée des villes, où elle se dépensait d’une manière improductive, sera employée sur place à perfectionner les moyens de production et à améliorer le sort de ceux dont le travail crée tout ce qui fait subsister la société.

Bien souvent déjà, et plusieurs fois dans cette Revue, on a fait ressortir l’heureuse influence exercée sur la formation de la richesse et sur le développement des libertés publiques par la résidence à la campagne de ceux qui disposent du produit net. Depuis la fin du XVIIIe siècle, on peut constater un retour marqué vers la vie rurale. Les éloquens tableaux de Jean-Jacques et les pages attachantes de ses disciples de notre temps ont mis à la mode un certain goût de bucoliques qui n’a pas manqué de produire d’excellens effets. Malheureusement deux causes persistantes contre-balancent, chez la plupart des nations du continent, ces salutaires tendances : d’abord la crainte de l’isolement et de la privation de toutes relations sociales, ensuite l’aversion ordinaire de la femme pour une existence passée tout entière à la campagne. Déjà pourtant ces obstacles vont