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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/910

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vin. Il est à croire en effet que la troupe s’accoutumerait difficilement au pulque ou jus fermenté de l’aloès, qui est consommé, de préférence à toute autre boisson, par la population, quoique la vigne réussisse parfaitement sur le plateau; mais comme, en vertu du système prohibitif qu’affectionnait la métropole, il fallait, sous le régime colonial, que tout le vin bu au Mexique fût originaire de la mère-patrie, les Mexicains s’en passaient, et ils ne s’y sont pas mis encore : même chez les classes aisées, c’est du pulque qu’on trouve sur les tables.

Les renseignemens qu’on a pu recueillir permettent de croire que, si les Français se fussent présentés seuls, ils n’eussent rencontré que fort peu de résistance. La population mexicaine a du goût pour eux, et comme nos troupes ne prennent rien de vive force et paient convenablement toute chose, il est vraisemblable qu’on leur eût apporté tout ce que le pays aurait pu fournir. Malheureusement la présence du drapeau espagnol à côté du nôtre nous expose à partager la répulsion dont la Péninsule est l’objet de la part des Mexicains. — Le patriotisme mexicain, c’est la haine de l’Espagne. Le Mexicain a une antipathie marquée pour l’Américain du Nord, voisin ambitieux dont il redoute l’esprit d’empiétement illimité; mais il déteste bien davantage la nation espagnole. Il y a un fleuve de sang entre les Espagnols et les Mexicains; il n’existe peut-être pas au Mexique une famille créole, métisse ou indienne, qui n’ait lieu de se souvenir que les commandans espagnols, pendant la guerre de l’indépendance, ont livré au bourreau ou égorgé sur le champ de bataille après la victoire quelqu’un de ses membres, un père, un fils, un frère. S’il était vrai, comme on l’a dit, qu’à la suite de la convention de Soledad la troupe espagnole dût rentrer à Cuba, ce dont on peut douter, ce serait le plus grand des bonheurs possibles, je ne dirai pas pour nos soldats, qui sauront bien triompher de tous les obstacles, mais pour nos négociateurs. Ce serait comme si l’armée expéditionnaire avait gagné dix mille hommes, quoiqu’elle eût perdu de cinq à six mille auxiliaires. Il n’y a peut-être pas d’exagération à dire que si les troupes espagnoles restent avec les nôtres, il s’ensuivra la nécessité d’expédier des renforts.

Sous le rapport politique, c’est encore une délicate affaire que le choix du prince auquel on pourrait offrir le trône nouveau qui serait érigé au Mexique. Il est convenu en toute loyauté que les alliés s’abstiendront d’imposer aux Mexicains tel ou tel souverain; ils n’entendent même pas les contraindre à changer la forme de leur gouvernement. Ils les laissent parfaitement libres de faire d’eux-mêmes ce qu’il leur plaira. La proclamation des commissaires et des commandans alliés du 10 janvier est fort explicite à cet égard, et on