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et qui garantit à tous l’avantage de composer de belles tragédies en promulguant les canons classiques que tous doivent suivre sans jamais se permettre d’écouter leur propre inspiration. Et la révolution à son tour marche fidèlement dans l’antique ornière. A travers ses déclamations libérales, à travers son espoir d’atteindre ses fins par l’intermédiaire du peuple, elle montre vite, au premier obstacle qui se rencontre, comment elle ne songe qu’à procurer au pays le meilleur des gouvernemens, et nullement à lui rendre enfin la liberté de se gouverner lui-même suivant ses propres vues. Au lieu d’ouvrir une ère nouvelle, elle en reste au raisonnement séculaire : que, pour mettre fin au règne du mal et pour amener celui du bien, il suffit de défendre l’un et d’ordonner l’autre. Toute sa philosophie propre se réduit à cette variante, que désormais ce n’est plus à une royauté héréditaire ni à une aristocratie de naissance, mais à la volonté générale personnifiée dans une assemblée élue par la nation entière que doit appartenir le rôle de grand ressort. Que cette assemblée, se dit-elle, ait seule droit de vouloir pour tous et de fixer pour chaque circonstance ce qui est la bonne chose à faire; qu’un pouvoir irrésistible ne laisse à personne la possibilité de s’écarter de ses commandemens; que tous les rouages enfin n’aient aucun mouvement à eux, qu’ils ne puissent fonctionner que suivant l’impulsion du meilleur des ressorts, et la société sera à l’abri de tous les abus comme de toutes les souffrances; le règne de la justice sera mathématiquement assuré, puisque l’assemblée souveraine, en sa qualité d’organe de la volonté générale, ne pourra vouloir que ce qui est conforme à l’intérêt général.

C’est dire que la république, après avoir abrogé les rois, s’est bornée à reprendre l’idée grecque des assemblées démocratiques, comme le 18 brumaire devait reprendre plus tard l’idée romaine d’un empereur, comme nos partis avancés — tel est le nom qu’ils se donnent, — voudraient rétrograder maintenant jusqu’à l’idée lacédémonienne d’une communauté basée sur l’anéantissement absolu des volontés individuelles. Le cycle est vraiment éternel : quand il finit à l’oméga, il recommence à l’alpha, et cela avec une régularité, une monotonie qui ont quelque chose de terrifiant, tant elles donnent le sentiment de la fatalité. Les préoccupations des hommes ont beau changer, il importe même peu que la liberté civile et l’émancipation des intelligences soient précisément le but qu’ils se proposent : ce but était celui de la révolution, et cependant, pour se délivrer des anciennes tyrannies spirituelles et politiques, elle n’a rien su faire que reproduire exactement le mécanisme de la monarchie et du catholicisme. Afin de gouverner les corps et les âmes, elle a emprunté au moyen âge sa souveraineté à deux têtes : d’un côté, un