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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/969

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fautes pour ne pas les continuer nous-mêmes. L’esprit de corps est ce qui tue toutes les corporations : de peur de se discréditer elles-mêmes, elles se laissent aller à excuser ou à couvrir les aberrations de leurs affiliés, et elles gardent ainsi dans leur sein les éléments vicieux qui tôt ou tard sont sûrs de miner leur crédit. Ceux qui comprennent et désirent la bonne liberté sont les premiers intéressés à épurer leurs rangs; à eux de dénoncer le mauvais esprit qui jusqu’ici a frappé leur parti d’impuissance, à eux de ne pas permettre que les admirateurs de la violence ou de ce qui y mène forcément se fassent passer pour leurs alliés. — Par rapport à leur cause, les hommes ne se divisent vraiment qu’en deux catégories : d’un côté sont tous ceux qui, en ayant une opinion quelconque, désirent seulement obtenir pour elle le droit de s’exprimer, de se propager par la persuasion, de concourir pour sa part au mouvement général, et ces hommes-là, qu’ils soient monarchistes, légitimistes ou impérialistes, sont les amis de la liberté; — de l’autre côté sont tous ceux qui, en ayant un drapeau quelconque, ne combattent en réalité que dans le désir d’arriver par la liberté ou autrement à faire de leur foi l’arbitre exclusif des destinées du pays. Ces hommes-là, qu’ils soient démocrates, socialistes ou républicains, sont les ennemis de la liberté, les continuateurs et les propagateurs des tendances qui nous ont empêchés de l’obtenir, et qui, tant que face à face il existera deux manières de voir différentes, ne nous laisseront d’autre abri possible que le régime de l’autorité, le régime qui désarme les combattans trop insensés pour se respecter l’un l’autre, qui établit l’ordre par la force en enlevant à toutes les convictions moins une le droit de parler et d’agir.

Plus que jamais, le premier de ces partis a chez nous des représentans éclairés, ou en tout cas, s’il n’en compte pas un plus grand nombre que sous la restauration, ses représentans actuels ont moins d’illusions : ils aiment mieux ce qui est réellement la liberté en l’identifiant moins avec une forme particulière de mécanisme politique. Seulement, et c’est pour cela que nous avons écrit ces pages, il nous semble qu’ils ne vont pas encore assez au fond des esprits pour y chercher la racine première des mauvaises habitudes qu’ils voudraient extirper. Devant l’indifférence et le scepticisme de notre époque, les intenses convictions de 89 prennent presque l’apparence d’une vertu, et parmi les meilleurs esprits, il en est plus d’un qui, tout en blâmant les violences de la révolution, se sont laissés aller à lui faire un mérite de sa foi en ses idées. L’intention était excellente, rien de plus certain ; mais ce ne sont pas moins là des paroles dangereuses : elles tendent à flatter, à encourager les aveuglemens contre lesquels il importerait de nous prémunir. Avec l’espèce de confiance que le XVIIIe siècle avait dans sa raison, on n’ar-