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ESSAIS ET NOTICES

UNE NOUVELLE DEFENSE DU SPIRITUALISME.


C’est un symptôme remarquable dans ce temps d’hégélianisme et de positivisme que le succès d’un livre où l’auteur s’applique à maintenir et à défendre la théodicée de Leibnitz, éclairée et fortifiée par l’application de la méthode psychologique. Les principes du spiritualisme n’ont donc pas, à ce qu’il semble, perdu toute influence, et la troisième édition de l’Essai de philosophie religieuse de M. Emile Saisset peut servir à le prouver[1]. Nous n’avons l’intention de revenir ici ni sur la partie historique, ni sur la partie dogmatique de cet ouvrage, qui ont été l’objet d’une appréciation développée dans la Revue[2] ; mais le livre s’est augmenté de toute une partie nouvelle dont il paraît utile de dire quelques mots, car elle est essentiellement critique, et par les réponses que l’auteur adresse à ses adversaires on juge de l’importance des systèmes contraires et de l’esprit qui anime à notre époque les diverses écoles philosophiques. Les éditions précédentes contenaient déjà trois morceaux d’un caractère critique et dialectique sous ces trois titres : Objections d’un pyrrhonien, Objections d’un panthéiste, Discussion d’une antinomie ; l’auteur y ajoute dans son appendice trois éclaircissemens nouveaux, qui traitent, le premier des preuves de l’existence de Dieu, le second de la définition du panthéisme, le troisième de l’infinité de la création. Sans nous préoccuper de la place et de l’origine de ces différens morceaux, nous en résumerons les principaux points, c’est-à-dire l’opinion de l’auteur sur l’existence de Dieu, sur la nature de Dieu, sur les rapports de Dieu et du monde.

Sur la question de l’existence de Dieu, M. Emile Saisset professe et expose la doctrine suivante, qui, sauf quelques nuances, est en général la doctrine de toute l’école spiritualiste. Cette doctrine, c’est que l’existence de Dieu est une vérité première, une vérité d’intuition, et que les preuves que l’on en donne ne sont que les diverses analyses du mouvement naturel de l’esprit qui, dans toutes les catégories de la pensée, nous porte du fini à l’infini. Il est remarquable que tandis que l’école spiritualiste arrivait à cette conclusion par la méthode psychologique, l’école allemande y arrivait de son côté par la méthode spéculative. « Ce qu’on appelle, a dit Hegel, la preuve de l’existence de Dieu n’est que l’analyse et la description d’un procédé de l’esprit qui est un principe pensant et qui pense les choses sensibles. L’élévation de l’esprit au-dessus des choses sensibles, ce mouvement qui lui fait franchir les limites du fini et le conduit dans la région de l’invisible et de l’infini, tout cela, c’est penser et ce n’est que penser. Lorsque ce passage du fini à l’infini n’a pas lieu, on peut dire qu’il n’y a pas de pensée. Ce passage

  1. Il vient de paraître en outre tout récemment a Londres une traduction anglaise de cet ouvrage par M. William Alexander, docteur de l’université d’Oxford.
  2. Voyez la livraison du 1er septembre 1861.