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n’a pas lieu chez les animaux, qui, étant bornés à la sensation et à la perception sensible, ne peuvent avoir de religion. »

Ce principe posé, M. Emile Saisset établit que les diverses preuves de l’existence de Dieu ont pour effet de rendre sensible à l’esprit ce mouvement qui s’accomplit en lui sans qu’il en ait conscience, et surtout de réduire à l’absurde ceux qui, admettant le premier de ces deux termes, le fini, n’en admettent pas le second, l’infini. Ainsi, comme preuves directes, les argumens sont peut-être insuffisans ; mais comme explications de la foi naturelle, comme réductions à l’absurde de la négation absolue, elles ont une haute autorité scientifique. C’est ce que démontre l’auteur sans employer un grand appareil métaphysique, mais avec beaucoup de solidité et de précision.

Je suis en général d’accord avec l’auteur de l’essai sur presque tous les points de cette analyse et de cette critique, et je goûte beaucoup la sagacité et la simplicité de ses vues ; je regrette seulement qu’il ait négligé quelques preuves qui, pour être d’un ordre moins métaphysique que les autres, offrent cependant quelque intérêt, par exemple la preuve du consentement universel, la preuve tirée du sentiment religieux (qui est la précédente sous une autre forme), et surtout l’argument moral, qui conclut à Dieu comme au souverain législateur et au souverain juge de l’ordre moral. Cet argument, que Kant considérait comme le seul légitime, n’est certainement pas à dédaigner, car l’ordre moral suppose sans doute un auteur tout aussi bien que l’ordre physique.

Après la question de l’existence de Dieu vient la question de la nature de Dieu. C’est ici que M. Emile Saisset rencontre l’adversaire le plus redoutable, auquel il a consacré les deux plus excellens morceaux de son livre : la réfutation du panthéisme (dans la quatrième méditation) et la définition du panthéisme dans l’appendice. Dans ce dernier morceau, il revient sur une définition du panthéisme qui lui avait été contestée ; il l’explique, l’éclaircit, la développe, la confirme par l’histoire. Cette définition est celle-ci : le panthéisme est la doctrine qui enseigne la coexistence éternelle et nécessaire du fini et de l’infini, la consubstantialité absolue de la nature et de Dieu considérés comme deux aspects différens et inséparables de l’existence universelle. De cette définition précise du panthéisme, l’auteur déduit la loi de son développement. Le panthéisme, en voulant concilier dans une unité absolue le fini et l’infini, n’échappe pas aux difficultés qui résultent de la rencontre de ces deux termes opposés, car il accorde trop tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Est-il préoccupé de la grandeur de Dieu, il se perd dans l’infini, et le fini n’est plus pour lui qu’une illusion, une chute, lin néant : c’est le mysticisme. Est-il préoccupé de la détermination de Dieu, de la réalité, il le confond avec le fini même et tombe dans le naturalisme. Ainsi deux sortes de panthéismes : le panthéisme mystique, le panthéisme naturaliste ; l’un qui est en quelque sorte l’acosmisme, l’autre qui est tout près de l’athéisme. M. Emile Saisset démontre cette loi inévitable du panthéisme par de nombreux exemples empruntés à l’histoire de la philosophie, depuis les plus anciens philosophes indiens jusqu’à Schelling et Hegel. Cette analyse du panthéisme et de sa loi essentielle est certainement