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Ces dispositions successives, qui se confirment même en se modifiant, ce langage toujours conséquent, ne permettent aucun doute, aucune hésitation. C’est bien un véritable abonnement que le gouvernement demande au vote des recettes, car, d’après les commentaires officiels, le vote des dépenses n’est qu’une évaluation approximative destinée à fixer le chiffre de la somme totale mise à sa disposition. Le résultat n’a pas été heureux. Le gouvernement a obtenu toute la liberté qu’il souhaitait, et dont il a largement usé; le pays n’a pas conservé toutes les garanties qui auraient très probablement subi pour prévenir les entraînemens dont M. Fould a fait l’objet principal des réflexions contenues dans son mémoire à l’empereur.

Je n’ai donc à tirer des réflexions que m’a inspirées le budget de 1863 d’autres conclusions que celles de précédentes études sur nos finances : pour la fortune publique, pour les intérêts privés, il n’y a de garanties que dans la liberté; pour les gouvernemens, il n’y a de sauvegarde que dans la discussion et le contrôle. A l’extérieur, l’influence d’un pays se fonde moins sur la multiplicité que sur la justice et l’utilité des entreprises. La bonne politique ne consiste pas à être partout, à vouloir peser sur tout, mais à agir avec suite, en ne consultant, dans l’ordre moral et dans l’ordre matériel, que les besoins réels et que les intérêts durables. A l’intérieur, rien n’est plus funeste que l’incertitude et l’instabilité. Après avoir beaucoup innové, beaucoup renversé, beaucoup essayé, on peut s’apercevoir un jour qu’on a reculé au lieu d’avancer, car l’agitation n’est pas le mouvement. Nous ne sommes plus, comme richesse, comme travail, comme confiance, au point où nous étions après la guerre de Crimée. Il serait injuste peut-être de trop restreindre, plus injuste encore de trop étendre la responsabilité d’un tel changement. Chacun de nous a le droit de n’accepter sa part de cette responsabilité qu’autant qu’il a contribué à faire, ou qu’il lui aurait été possible d’empêcher. Ce qui s’est passé hier appartient déjà à l’histoire; elle rendra ses arrêts là où nous n’avons plus qu’à chercher des enseignemens. Portons donc nos regards en avant et occupons-nous d’aujourd’hui et de demain. La France, avertie et mise en demeure, serait désormais sans excuse si elle ne rendait pas à la conduite de ses affaires l’attention qu’elle en a trop distraite, si elle ne se servait pas, pour exercer un peu d’influence sur ses destinées, des droits que la constitution lui donne.


CASIMIR PERIER.