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coup de sa cervelle une cité enchantée : mille palais fantasques s’y élevaient, mille arbres magiques y entrelaçaient leurs branches et y croisaient leurs feuillages. Dans ces palais, sous ces ombrages, se pressait tout un peuple de figures aperçues ou rêvées : le peuple des pressentimens et des souvenirs. La tempête était devenue pour lui comme un haschich fécond en visions, quand il aperçut devant sa tente, illuminée par un long éclair, un être qu’il prit d’abord pour un de ses songes. Une femme était debout devant lui dans cette blanche lumière de la foudre qui nous ébranle comme un cri de douleur. Elle portait l’habit oriental ; elle avait soulevé son voile et laissait voir deux grands yeux aux noires profondeurs, deux grands yeux admirablement beaux et tristes, d’où semblait s’exhaler le parfum pénétrant d’une prière.

Laërte sortit peu à peu de ces contemplations extatiques. Quelquefois les dormeurs agités aperçoivent en secouant la torpeur des songes une forme à leur chevet. C’est une image taillée dans la vapeur du rêve qui se met à fondre sous leurs regards comme une statue de neige sous les rayons du soleil. La forme que regardait Laërte prenait à chaque instant au contraire plus de consistance ; il put se convaincre peu à peu qu’il avait bien devant lui une créature de sang et de chair. Il fit signe à la vivante apparition de s’approcher ; on lui obéit. Une voix mélodieuse se mit alors à lui raconter, avec les tons imagés de la langue arabe, une histoire que voici en quelques mots.

La femme qui s’était montrée à lui dans cet orage appartenait à une tribu voisine récemment châtiée par Abd-el-Kader, dont elle ne voulait pas défendre la cause. Cette femme avait été traitée avec la plus cruelle violence par un mari qui, disait-elle, avait conçu à son égard une injuste et aveugle jalousie ; pour se soustraire à un courroux qui, au lieu de s’apaiser, devenait plus menaçant chaque jour, elle avait quitté secrètement son douar, et s’était mise à marcher devant elle. Dieu l’avait conduite jusqu’à la tente où elle trouvait en ce moment un asile. Zabori n’avait point l’habitude de contester à aucun être et à aucun fait le droit d’être bizarre, merveilleux ou imprévu. Tout homme d’ailleurs, à moins d’avoir la tête plus blanche et le dos plus voûté que l’Atlas, aurait accepté avec une foi soumise les paroles de la belle voyageuse. Laërte résolut donc de pratiquer dans toute son étendue, vis-à-vis de cette fugitive, la loi de l’hospitalité musulmane, qui ne lui avait jamais paru plus douce ni plus sacrée.

Le désert et les mœurs orientales enlevèrent pour lui, aux suites forcées de cette aventure, la vulgarité qu’elles auraient eue avec d’autres mœurs et dans un autre pays. Personne ne lui disputa dans l’armée de l’émir le présent que lui avait fait la destinée. On eut