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lord Castlereagh, ministre des affaires étrangères, son frère sir Charles Stewart, lord Clancarty et lord Cathcart, envoyés auprès des cours de Prusse, des Pays-Bas et de Russie. En réalité, il n’y avait parmi eux qu’un seul négociateur vraiment autorisé, c’était lord Castlereagh, esprit net et précis, mais raide et tenace, sincèrement convaincu, quand il soutenait avec la dernière vivacité les intérêts de son pays, qu’il ne faisait que défendre les principes éternels de la justice et du droit. Comme la plupart des agens de sa nation, il n’avait d’ailleurs qu’une assez imparfaite connaissance des complications infinies de la diplomatie européenne. Par hauteur de caractère, mais aussi par manque de sagacité, de souplesse et de tact, il ne savait ni prévoir à temps les obstacles que devaient rencontrer ses vues trop absolues, ni tenir un compte suffisant des faits accomplis, ni se prêter, dans la mesure indispensable, aux convenances de ceux avec lesquels il lui fallait traiter. C’est ainsi qu’arrivé à Vienne tout plein de l’idée préconçue d’une étroite alliance entre la Prusse et l’Autriche, il allait perdre son temps à la prêcher sans succès à ces deux cabinets, si peu enclins à s’entendre. C’est ainsi qu’à force de s’entêter outre mesure dans son propre sentiment, il était destiné à donner à l’Europe le spectacle singulier du très considérable ministre d’une très puissante nation s’épuisant en efforts inutiles pour appuyer des combinaisons impossibles, et réduit à se rallier, en désespoir de cause, aux résolutions les plus évidemment contraires à ses premiers desseins.

Tandis que l’Angleterre avait pour organe au congrès de Vienne son ministre des affaires étrangères, la Russie y devait être directement représentée par son souverain. La prétention d’Alexandre était de diriger lui-même ses affaires comme Napoléon, qu’il imitait volontiers depuis qu’il en avait triomphé. Rien ne lui souriait tant que de faire tourner au profit de ses plans politiques l’importance de son rôle personnel. Hâtons-nous cependant d’ajouter, pour être juste, que les préoccupations de son amour-propre et les intérêts de l’ambition n’agitaient pas seuls en ce moment l’âme mobile de l’empereur de Russie : une noble pensée depuis trop facilement oubliée, une inspiration généreuse qui n’a été malheureusement ni efficace ni durable, mais qui avait du moins le mérite d’être sincère, inspiraient alors toute sa conduite. Chose singulière quand on songe aux méfaits du passé et aux tristes violences de l’heure présente, le petit-fils de Catherine II, le frère de l’empereur Nicolas, avait en 11814 le cœur tout rempli d’une immense pitié pour les souffrances de la Pologne! Comme presque tous les bons sentimens qui ont persisté tard dans la vie, cette ardente sympathie avait pris naissance aux jours mêmes de sa jeunesse. A dix-sept ans, on avait entendu le petit-fils de Catherine II blâmer les procédés astucieux de la tsarine