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envers cette vaillante et malheureuse nation. Du vivant de son père Paul Ier on avait été surpris de le voir attacher à sa personne quelques jeunes Polonais, enchantés de recevoir en secret les confidences pleines de promesses du maître futur de la Russie. Monté sur le trône, Alexandre leur avait tenu encore le même langage, et particulièrement au prince Adam Czartoryski. Avec ses ministres, avec les chefs de son armée, dont plusieurs avaient trempé dans l’assassinat de son père, sa réserve, il est vrai, était restée grande à cause des répugnances des Russes, qu’il connaissait bien, et qu’il lui fallait ménager. En petit comité et dans son cercle intime, sa pensée s’épanchait plus librement. Une sorte d’honnête enthousiasme animait sa noble figure lorsqu’il entretenait de ses projets pour la Pologne quelques femmes aimables avec lesquelles il se plaisait à causer. M le cours rapide des années ni les difficultés de son règne agité ne devaient détruire tout à fait cette première bonne volonté. À diverses reprises, Alexandre en a donné des preuves qui sont restées, nous le croyons, trop ignorées du public. Ainsi, pendant ses luttes contre Napoléon, il songea plus d’une fois à s’aider du concours des Polonais. Son habile ennemi ayant lui-même, pour exciter le zèle de ses vaillans auxiliaires, mis en avant l’idée d’une reconstitution partielle de la Pologne, l’empereur de Russie, renchérissant sur lui, n’hésita pas à faire briller à leurs yeux la perspective d’une résurrection complète de l’ancienne monarchie des Jagellons. Celui qui fouillerait avec soin les archives du ministère de la guerre y trouverait des dépêches de Murat dénonçant, de 1809 à 1810, les menées des agens russes, qui offraient aux Polonais de les aider à reprendre cette partie de l’ancienne Pologne qui, dans le dernier partage, avait formé le lot de la Prusse. Une lettre du mois de décembre 1810, adressée par Alexandre au prince Adam Czartoryski, contient à ce sujet des propositions formelles, d’autant plus significatives qu’à cette époque et depuis 1800 le prince Adam, sorti du ministère russe et volontairement éloigné de Saint-Pétersbourg, avait cessé d’être en relations suivies avec le tsar.


« Les circonstances actuelles, lui écrivait l’empereur de Russie, me paraissent très importantes. Il me semble que c’est le moment de prouver aux Polonais que la Russie n’est pas leur ennemie, mais bien plutôt leur amie véritable et naturelle, et que, malgré les efforts faits pour la représenter comme la seule opposition existante à la restauration de la Pologne, il n’est pas improbable au contraire que ce soit elle qui la réalise. Ce que je vous dis là vous étonnera peut-être ; mais, je le répète, rien n’est plus probable, et les circonstances me paraissent des plus favorables pour me livrer à une idée qui a été anciennement mon idée favorite, que j’ai deux