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fois été dans le cas d’ajourner par l’empire des circonstances, mais qui n’en est pas moins dans le fond de ma pensée[1]... »

Quelques semaines plus tard, le 11 février 1811, il précisait encore mieux ses projets dans une seconde lettre à son ancien confident.


« C’est la Russie qui veut se charger de la régénération de la Pologne. Par cette régénération, j’entends parler de tout ce qui a fait autrefois partie de la Pologne, en y comprenant les provinces russes, à l’exception de la Russie-Blanche, de manière à prendre la Dvina, la Bérésina et le Dnieper pour frontière. Pour convaincre de la sincérité des offres que je fais, les proclamations sur le rétablissement de la Pologne doivent précéder toutes choses, et c’est par cette œuvre que l’exécution du plan doit commencer[2]. »


Les offres d’Alexandre, que le vieux parti russe n’eût guère approuvées s’il les eût connues, et qui lui furent probablement cachées à cette époque, ne séduisirent point davantage les Polonais. Ils avaient mis leur espérance dans le camp opposé. Deux ans plus tard, en 1813, lorsque les Cosaques, lancés à la poursuite de nos bataillons décimés, apparurent en vainqueurs dans les plaines voisines de Varsovie, Alexandre prit soin de faire précéder leur arrivée des plus flatteuses assurances, adressées cette fois encore par l’intermédiaire du prince Czartoryski.


« Les succès par lesquels la Providence a voulu bénir mes efforts et ma persévérance n’ont nullement changé ni mes sentimens ni mes intentions envers la Pologne. Que vos compatriotes soient donc tranquilles sur les appréhensions qu’ils peuvent avoir! La vengeance est un sentiment qui m’est inconnu, et ma plus douce jouissance est de payer le mal par le bien. Les ordres les plus sévères sont donnés à tous mes généraux d’agir en conséquence, et de traiter les Polonais en amis et en frères... Je vais vous parler en toute franchise : pour faire réussir mes idées favorites sur la Pologne, j’ai à vaincre quelques difficultés, malgré le brillant de ma position actuelle... D’abord l’opinion en Russie. La manière dont l’armée polonaise s’est conduite chez nous, le sac de Smolensk, de Moscou, la dévastation de tout le pays, a ranimé les anciennes haines... Secondement, dans le moment actuel, une publicité donnée à mes intentions sur la Pologne jetterait complètement l’Autriche et la Prusse dans les bras de la France, résultat qu’il est très essentiel d’empêcher, d’autant plus que ces deux puissances me témoignent les meilleures dispositions... Ces difficultés, avec de la sagesse et de la prudence, seraient vaincues; mais pour y parvenir il faut que vos compatriotes me secondent, il faut que vous m’aidiez vous-même

  1. Lettre particulière de l’empereur Alexandre au prince Adam Czartoryski, 15 décembre 1810,
  2. Lettre particulière de l’empereur Alexandre au prince Czartoryski, 11 janvier 1811.