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la France était aussi représentée à Vienne par le duc de Dalberg, qu’il s’était lait adjoindre. Cet ancien membre du gouvernement provisoire, personnage considérable par lui-même et par la position qu’il occupait en Allemagne, avait une connaissance particulière des affaires germaniques. L’ambassade se composait encore de M. le marquis de La Tour du Pin, ancien émigré, et du jeune comte Alexis de Noailles. M. de Talleyrand avait également emmené avec lui, quoique ne faisant pas à titre officiel partie du congrès, M. de La Besnardière, qui avait alors le titre de directeur au ministère des affaires étrangères[1]. Les premiers temps du séjour de M. de Talleyrand furent employés à recevoir et à rendre nombre de visites officielles, pendant lesquelles il ne laissa pas échapper une occasion de s’expliquer en termes généraux sur les principes qui dirigeraient la politique de la France. Dès ses premières lettres, l’ambassadeur de Louis XVIII se montre surpris et choqué de l’arrogance des Russes et des Prussiens et de ce qu’il appelle la légèreté de M. de Metternich. Il se plaît à mettre en regard l’attitude prise par l’ambassade française. « Dans une situation, écrivait il le 29 septembre à Louis XVIII, où tant dépassions fermentent, où tant de gens s’agitent en tous

  1. Les commencemens de M. de La Besnardière sont assez curieux pour que nous en disions ici quelques mots. On raconte que, M. de Talleyrand étant ministre des affaires étrangères, un de ses chefs de division lui présenta un jour un travail qui lui parut dépasser la portée de celui qui le lui remettait. Il s’enquit adroitement de l’auteur, qui était M. de La Besnardière, et, lui trouvant de la capacité, l’avança rapidement. Cependant les habitudes de M. de La Besnardière restèrent toujours fort modestes. Son talent consistait moins dans l’invention que dans une grande habileté de rédaction. M. de Talleyrand, qui lui avait donné à rédiger les instructions qu’il emportait à Vienne, l’y emmena avec lui. M. de La Besnardière joua un rôle volontairement effacé, bien qu’effectif, dans les affaires du congrès. On voyait souvent les petits princes allemands dont le sort n’était pas encore fixé gravir les marches de l’escalier qui conduisait à la chambre haute où M. de Talleyrand avait logé l’homme distingué qui possédait sa confiance. M. Thiers a dit, dans une note de son dix-huitième volume, que M. de Talleyrand fournissait à M. de La Besnardière les matériaux de sa correspondance particulière avec Louis XVIII, qu’il prenait ensuite la peine de recopier de sa main. Cette version, assez accréditée, est fondée sur ce que M. de Talleyrand, causeur excellent, n’aimait pas à écrire, et que ses moindres billets ont toujours semblé lui avoir coûté assez de travail, tandis que les lettres à Louis XVIII sont d’une écriture courante et sans rature. Cependant les personnes de la famille et de l’intimité de M. de Talleyrand affirment au contraire l’avoir toujours vu faire lui-même sa correspondance avec Louis XVIII. Suivant elles, M. de L». Besnardière aurait au contraire rédigé seul la correspondance avec M. de Jaucourt, que M. Thiers attribue à M. de Balberg. Il nous semble que les lettres de M. de Talleyrand à Louis XVIII portent en effet une empreinte toute personnelle; le tour en est bien original pour avoir été rencontré de seconde main. Quelques-unes de ces lettres rendent compte de conversations qui ont eu lieu en tête-à-tête, et dans lesquelles l’attitude, les gestes, l’accent et jusqu’aux moindres inflexions de la voix des interlocuteurs sont notés avec une vivacité et un naturel qu’on aurait peine à expliquer, s’il fallait les attribuer à M. de La Besnardière. Au reste nous citons les plus curieuses, et le lecteur pourra prononcer.