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que quelques momens, et l’empereur reprit : « Résumons-nous. » Je récapitulai brièvement les points sur lesquels je pouvais et ceux sur lesquels je ne pouvais pas composer, et je finis par dire que je devais insister sur la conservation du royaume de Saxe avec seize cent mille habitans. « Oui, me dit l’empereur, vous insistez beaucoup sur une chose décidée; » mais il ne prononça pas le mot de ce ton qui annonce une détermination qui ne peut changer[1]. »


De part et d’autre les amours-propres étaient bien engagés; mais, depuis six semaines que duraient les conférences, la politique française avait gagné beaucoup de terrain. M. de Talleyrand pouvait mander en toute vérité au roi Louis XVIII « qu’on ne songeait plus à faire le vide autour de son ambassadeur. » Sans accepter encore l’idée de s’entendre avec nous pour résister à l’empereur Alexandre, lord Castlereagh et M. de Metternich s’étaient en effet habitués à venir confier leurs embarras à M. de Talleyrand; ils cherchaient de bonne foi le moyen de revenir, sans rompre positivement, sur les demi-engagemens qu’ils avaient pris avec la Russie et la Prusse. M. de Talleyrand leur répétait sous toutes les formes qu’il n’y en avait pas d’autre que de s’allier résolument avec la France. Cette offre les effrayait, et tout aussitôt ils retombaient dans les hésitations. Ce fut l’empereur Alexandre qui les en tira par une démarche aussi arrogante qu’inconsidérée. Tout à coup l’on apprit à Vienne que le prince de Repnin, gouverneur-général de la Saxe pour la Russie, dans une proclamation adressée aux autorités saxonnes, venait de leur annoncer « qu’en vertu d’une convention conclue dès le 27 septembre, l’empereur de Russie, de l’aveu de l’Autriche et de l’Angleterre, lui avait ordonné de remettre l’administration de la Saxe aux délégués du roi de Prusse, qui devait à l’avenir posséder ce pays. » À cette nouvelle, l’émotion fut extrême. L’indignation des petits princes allemands ne connut pas de bornes; c’était un cri général contre l’ambition et l’audace des puissances du Nord, qui n’avaient pas hésité à porter un insolent défi à l’Europe en décidant prématurément entre elles une question soumise aux délibérations du congrès. M. de Metternich et lord Castlereagh se jetèrent dans les récriminations les plus vives. Ils étaient dans leur droit, car on abusait d’une façon odieuse de leur complaisance en représentant comme absolu et définitif un consentement qui n’avait jamais été de leur part que conditionnel. Cet étrange procédé de l’empereur de Russie les poussa à bout. Lord Castlereagh venait justement de recevoir de sa cour l’ordre de défendre la cause de la Saxe plus chaudement qu’il ne l’avait fait jusqu’alors. Tous les généraux autrichiens se plaignaient hautement de ce qu’ils appelaient la fai-

  1. Lettre particulière de M. de Talleyrand au roi Louis XVIII, 17 novembre 1814.