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tails plus circonstanciés dans lesquels nous sommes entré pour notre propre compte, du rapprochement que nous avons essayé d’établir entre les conférences de Châtillon et les négociations du congrès de Vienne, il nous paraît résulter un grave et utile enseignement. Cet enseignement, qu’il ne faut pas se lasser de remettre souvent sous les yeux des peuples comme de ceux qui les gouvernent, le voici. L’Europe, par une juste appréciation de ses intérêts et de son droit, par un sentiment vague si l’on veut, mais généreux en soi et parfaitement fondé, de ce qu’elle doit à la sainte cause de la civilisation, de la justice et de l’humanité, l’Europe, disons-nous, ne veut ni ne peut supporter longtemps la suprématie abusive d’aucun souverain ni d’aucune nation. D’où qu’elles viennent et si bien qu’elles se déguisent, les tentatives d’influence trop directe et d’action trop impérieuse la trouveront toujours prête à réagir contre elles. Il en a toujours été ainsi. Cela était vrai au siècle de Charles-Quint, sous le règne de Louis XIV et sous la domination de Napoléon Ier Cela est plus vrai encore aujourd’hui, car, en ces jours de calme et de tranquillité relative qui ont succédé aux tempêtes de la révolution et de l’empire, l’Europe est devenue plus ombrageuse et s’émeut à moins de frais. L’équilibre lui paraît maintenant compromis par de simples déplacemens de forces qui autrefois ne l’auraient pas également inquiétée. Elle se trouble surtout quand elle suppose des prétentions excessives à des pouvoirs qu’elle sait irresponsables, exempts de tout contrôle, capables par conséquent de lui donner le change sur leurs secrets desseins. C’est ainsi qu’à Vienne en 1815, quoiqu’elle fût loin de prendre l’empereur Alexandre pour ce qu’il voulait se donner alors, c’est-à-dire pour un autre Napoléon, l’Europe s’entendit pour se coaliser contre lui. C’est ainsi qu’en 1854 elle se trouvait aussi d’accord pour s’opposer aux vues réelles ou supposées de l’empereur Nicolas sur Constantinople. Il n’en sera jamais autrement. Oserai-je en conclure que si une nation a raison de vouloir veiller elle-même à la conduite de ses affaires intérieures, elle a tout autant de motifs pour n’abandonner à personne, même au plus habile, même au mieux intentionné, la direction exclusive de sa politique extérieure ? Il y a deux fautes dont les souverains qui n’ont à compter avec rien, ni avec personne, ont de la peine à se garder eux-mêmes : l’exagération des dépenses et l’ingérence abusive dans les affaires des autres pays. C’est à la suite d’embarras causés au dedans par le gaspillage des finances, au dehors par l’affectation blessante d’une suprématie trop despotique, que les gouvernemens les plus forts ont fait mettre en doute leur solidité. Jamais pareils excès n’ont profité soit à la réputation définitive du prince qui se les permet, soit aux intérêts bien entendus de la nation qui les supporte.


O. D’HAUSSONVILLE.