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les vrais ( gentlemen !» Personne certes ne le démentira; mais que lui ont fait Waller Scott, Heber et Southey pour les déprécier ainsi? Et l’Angleterre actuelle est-elle encore si engouée d’aristocratie et de culte monarchique, que, pour rapetisser à ses yeux un George IV, il faille l’écraser sous de telles comparaisons? Si cela est, nous la plaignons de grand cœur, et nous la plaindrions plus volontiers encore, si elle méconnaissait la conclusion générale qui se dégage irrésistiblement de l’étude de ces quatre règnes successifs, quand on les embrasse du même coup d’œil.

On peut la résumer en quelques mots.

L’Angleterre, dans les derniers temps de la reine Anne, avait commencé une intéressante expérimentation, continuée heureusement sous les successeurs que le bon sens des whigs appela au trône et qu’il y sut maintenir. Etrangers au pays, investis d’un droit dont ils doutaient, ne régnant qu’à titre précaire, les princes hanovriens intervinrent moins qu’aucun autre monarque anglais ne l’avait jamais fait dans la direction politique du pays qu’ils étaient censés dominer, favorisant ainsi, un peu malgré eux et sans en avoir pleinement conscience, la consolidation du vrai régime parlementaire.

Du jour où les trois royaumes se sentirent moins gouvernés, ils durent aviser à se gouverner eux-mêmes, et lorsqu’ils eurent contracté cette habitude éminemment salutaire, il devint, — George III en fit l’épreuve, — excessivement difficile de la leur faire perdre. Pressez le sens de cette expérience, bien éclatante, bien complète; vous en extrairez cette formule : que « le meilleur des rois, pour un peuple capable d’émancipation, est celui qui règne le moins; » ce qui revient à cet autre axiome : « la meilleure manière d’apprendre à être libre, c’est de pratiquer la liberté. »

Pour qui ne doute plus de ces grandes et simples vérités, il est illogique et presque impie de souhaiter, tels bienfaits qu’on leur pût devoir, des souverains éclairés, vaillans, justes, énergiques, aptes de tout point à porter la couronne, à manier le sceptre. C’est préférer le roi Grue au roi Soliveau, dont le mérite, longtemps méconnu, n’en est pas moins très supérieur. Voyez plutôt, et comparez. Qu’a-t-il manqué peut-être à mainte nation moderne pour l’investir de cette majesté sereine, de cette sécurité souriante et fière que presque toutes envient maintenant à notre puissante alliée d’outre-Manche? — Quatre « George » de suite, vains simulacres de rois, maîtres de nom, serviteurs de fait, et cent seize années de self-gouvernment obligatoire, utile et glorieux apprentissage dont le bénéfice, une fois acquis, l’est pour jamais.


E.-D. FORGUES.