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M. le ministre des finances; je veux supposer cette reprise d’une partie de l’impôt du sel justifiée par les besoins ordinaires du budget, ou mieux encore par un dégrèvement proportionnel qu’on opérerait d’autre part, et je dis que le sel, par cela même qu’il est un objet de consommation générale, n’est pas un mauvais impôt. Il faut d’abord mettre de côté les anciens souvenirs de la gabelle; l’impôt du sel, tel qu’il est établi aujourd’hui, n’a rien à faire avec ces souvenirs, il est établi sur des bases tout à fait différentes : la taxe d’autrefois était arbitraire, celle d’aujourd’hui ne l’est pas.

Mais cet impôt est très lourd, dira-t-on; il compte aujourd’hui pour moitié dans le prix du sel, et il comptera demain pour les deux tiers, si on y ajoute un nouveau décime. Cela serait vrai, si le sel était consommé directement, comme le sont le vin, la bière, les spiritueux et même le sucre; mais on ne mange pas du sel, on le mêle à des alimens ou à des produits agricoles et pharmaceutiques, et c’est dans la part qu’il ajoute au prix de ces alimens et de ces produits qu’il faut le considérer. Le paysan, par exemple, s’en sert pour saler le lard qu’il consomme : eh bien! si nous considérons l’augmentation qu’ajoute l’impôt du sel au prix de revient de la livre de lard, nous la trouvons insignifiante, et sans influence aucune sur le développement possible de la consommation. Il en est de même de l’augmentation qu’il ajoute au prix du fromage. Si le fromage est consommé par le producteur, la part de l’impôt n’a pas d’importance; s’il est vendu, la part de l’impôt entre naturellement dans le prix de vente, et elle est remboursée par l’acheteur, c’est-à-dire, comme toujours, par le consommateur. Il y a un critérium infaillible pour apprécier le poids d’un impôt, c’est le degré d’influence qu’une fois allégé il exerce sur le progrès de la consommation. Cet impôt a été diminué des deux tiers en 1848, ce qui est une diminution considérable qui a fait perdre d’un seul coup au fisc plus de 40 millions. Eh bien! sait-on quelle influence elle a exercée sur la consommation? Elle l’a fait passer en dix ans (nous a dit l’exposé financier de M. Fould) de 6 kilogrammes 1/2 à 8 kilogrammes par personne, c’est-à-dire qu’elle a augmenté de moins de 2 pour 100 par an. L’augmentation de la consommation du sucre avait été de 7 pour 100 avant le dégrèvement, et de 27 pour 100 après. Ainsi, en dix ans, avec un dégrèvement de deux tiers, l’augmentation de la consommation du sel n’a pas été aussi forte que celle du sucre en une seule année après un dégrèvement qui n’était pas de moitié. Cela prouve au fond, et malgré tout le bruit que l’on a fait et que l’on continue de faire, le peu d’intérêt économique qui s’attache au plus ou moins d’allégement de cet impôt. Qu’il entre, comme aujourd’hui, pour 4 francs à peu près dans le budget d’une famille,