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rait 5,500,000 francs; par conséquent ce ne serait ni un impôt modéré, ni un impôt productif. Il se peut que certaines personnes trouvent l’impôt trop onéreux et mettent de côté leur voiture et leurs chevaux. Si un tel fait se produit, l’industrie de la carrosserie et celle de l’élevage des chevaux en souffriront, et les gens qui en vivent, ayant moins de ressources, consommeront moins des autres choses qui profitent à toutes les industries; partant, toutes les industries se trouveront atteintes par un impôt qui n’aura voulu atteindre que les riches, il pénétrera jusqu’au cœur de la société, et l’ouvrier lui-même en sentira le contre-coup dans son salaire. Veut-on que la personne riche, que l’on se propose particulièrement d’atteindre, garde sa voiture et ses chevaux, et paie l’impôt? Eh bien! ce sera son revenu qu’on aura diminué, ce sera elle qui consommera moins en proportion de l’impôt nouveau qu’elle devra payer. Si cet impôt doit rapporter 5 millions 1/2, ce seront 5 millions 1/2 de moins dans le revenu disponible, et comme les salaires et les profits de toute nature sont en proportion du revenu disponible, ils baisseront d’autant; l’ouvrier subira encore le contre-coup de l’impôt sur les voitures comme s’il le payait lui-même. On n’aura fait qu’apporter un trouble dans les rapports économiques de la société.

Cet impôt, a dit M. le ministre des finances, a l’avantage d’atteindre la richesse dans une de ses manifestations extérieures. Nous nous permettrons de dire, malgré notre déférence pour M. le ministre, que c’est là un impôt fort mal justifié. Si l’on devait prendre les manifestations de la richesse comme raison des impôts, il faudrait les prendre toutes, sous peine de manquer à l’égalité et à la justice. Or quelle habileté viendrait à bout d’une pareille tâche? Va puis y a-t-on bien réfléchi? On veut frapper la richesse quand elle se montre, mais elle ne se montre que pour s’employer, c’est-à-dire pour devenir féconde; l’imposer à ce moment-là, c’est donner une prime d’encouragement à celle qui ne s’emploie pas, qui se cache; c’est pratiquer le système des gouvernemens asiatiques, qui prennent l’argent où ils peuvent, où il est le plus facile à prendre, sans se préoccuper beaucoup des idées de justice et encore moins des considérations économiques. Aussi qu’arrive-t-il? L’argent se montre le moins possible, on thésaurise, afin de soustraire sa fortune aux regards du fisc, et le capital ne s’employant pas, ces pays restent toujours au même degré de barbarie et de misère. « On ne plante pas et on ne bâtit pas chez les Turcs, dit Volney dans son Voyage en Égypte, parce que planter et bâtir, ce serait faire supposer qu’on est riche, et le pacha vous imposerait en conséquence. » On aura beau citer l’exemple de la Belgique, du Piémont, et surtout de l’Angleterre, à l’appui de l’impôt sur les voitures : cela ne fera pas qu’il