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générale de l’Angleterre. Ce n’était en effet qu’un prétexte : le spirituel orateur et ses amis ont adhéré déjà au budget des dépenses ; après avoir accordé les dépenses, ils ne pouvaient refuser les ressources. La discussion ne pouvait aboutir : elle n’était pas un combat, c’était une fantasia où les armes n’étaient chargées qu’à poudre.

Toutefois la question qui a été le thème de l’élégante dissertation de M. Disraeli n’est point seulement une question anglaise : elle présente un intérêt européen et surtout un intérêt français. Cette question n’est autre en effet que la contradiction gigantesque et l’énorme paradoxe de ce temps-ci ; c’est la contradiction paradoxale par laquelle les grandes nations du monde, tout en voulant chacune la paix pour son compte et en échangeant entre elles les assurances et les protestations les plus pacifiques, arment cependant à l’envi et obèrent de gaîté de cœur leurs finances par l’excès de leurs dépenses militaires et maritimes.

Il est superflu de dire que c’est du point de vue anglais que M. Disraeli a attaqué ce contre-sens désolant. Voilà que les finances anglaises, elles aussi, connaissent depuis deux ou trois ans le mal du déficit. Les découverts des derniers budgets anglais n’atteignent sans doute point les proportions colossales auxquelles les nôtres sont arrivés durant le même temps ; mais ils s’élèvent à 100 millions de francs, et c’est beaucoup pour un pays déjà considérablement taxé, et qui se faisait depuis longtemps un point d’honneur d’obtenir à la clôture de ses exercices financiers des excédans de recette, des surplus. Pour l’année qui s’ouvre, la gloire d’un surplus est encore refusée à l’Angleterre, et c’est un nouveau déficit qui se prépare. 2 millions sterling (600 millions de francs) du budget des recettes de l’Angleterre, considérés comme une ressource extraordinaire et temporaire, ne sont votés qu’à l’année. Bien loin que cette charge extraordinaire puisse être épargnée au pays, il faudra demander de nouvelles ressources à l’impôt, si le même système de dépenses est maintenu, et si l’on fait un pas de plus dans la voie du déficit. À chaque session, les ministres, pour excuser le chiffre auquel les dépenses sont portées, parlent de circonstances exceptionnelles. D’année en année, il devient pourtant plus évident que l’exceptionnel est en réalité le permanent. Jusqu’ici, on le voit, il n’est pas une plainte de M. Disraeli que nous n’ayons en France le droit de nous approprier, en la grossissant proportionnellement à la supériorité de nos déficit, de nos charges financières et des taxes nouvelles que nous sommes obligés de nous imposer. — Mais, dit M. Disraeli, la dépense résulte de la politique ; si vous voulez résoudre le ruineux problème de vos dépenses, il faut que vous sachiez mesurer et juger la politique qui motive et entraîne ces dépenses. — Voilà encore un principe dont nous trouvons en France l’application légitime. C’est par cette enjambée que M. Disraeli, quittant le terrain financier, entre dans la sphère de la politique générale.

On ne pourrait donner que l’un de ces trois motifs à nos grandes dé-