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tend à combattre par ses réflexions morales ? Une dernière objection ne m’arrêtera qu’un instant : quelques Anglais semblent persuadés qu’en supprimant les fêtes publiques du ring, on affaiblirait chez eux le courage national. Les pugilistes sont braves sans doute ; mais cesseraient-ils demain d’exister que la flotte et l’armée britanniques n’en continueraient pas moins, j’en suis convaincu, de se faire craindre jusqu’aux extrémités du monde. « Le courage militaire, me disait à ce propos le général Cameron, est un autre courage ; c’est une force morale qui naît du sentiment du devoir. »

Sans nous attacher davantage aux inconvéniens du ring, ne convient-il point de chercher quelle peut être l’utilité sociale de certains jeux et de certains exercices athlétiques ? Je ne croirai jamais, avec les écrivains du sport, que lancer une balle, délier ses jambes à la course ou asséner un vigoureux coup de poing, soit la grande affaire de la vie ; mais enfin l’homme est double, et je conçois très bien que, tout en ne perdant point de vue les développemens de l’esprit, les Anglais tiennent à accroître chez eux le mécanisme naturel de l’action. On a dit dans ces derniers temps beaucoup de mal de la force ; après tout, c’est encore elle qui gouverne le monde. Les peuples qui ont le plus déclamé contre elle et qui se sont donné le plaisir de la déclarer impuissante sont souvent les premiers qui la subissent à un moment donné. Seulement il y a différentes manières de comprendre la force. On peut la mettre dans les ressorts et les institutions de l’état. Telle n’a pas été l’intention des Anglais, car à leurs yeux les gouvernemens impérieux font les nations faibles. C’est au contraire dans l’individu qu’ils ont cherché à développer les moyens d’action et de résistance. Quels ont été les résultats économiques d’un tel système ? Il a donné des forces précieuses à l’industrie et au travail. C’est à l’aide de ces ressources vivantes, c’est appuyée sur la somme de ces énergies individuelles créées et développées par un ensemble d’exercices incessans que la Grande-Bretagne a dompté les élémens, défriché les déserts, fondé partout des manufactures et couvert soixante mille milles de fils télégraphiques, tandis que toute l’Europe réunie n’en a encore que la moitié, — trente mille milles. Accroître la puissance physique de la race, c’est enrichir le pays. Quand on a su remplir de telles conditions, on peut ouvrir un port sous la Tamise, creuser des chemins de fer sous la ville de Londres et bâtir à l’industrie un palais de brique auquel on convie l’univers.


ALPHONSE ESQUIROS.