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il a su tirer de grands avantages ; mais if faut ajouter qu’il a bien eu au moins autant de bonheur que de conduite.

Malgré son admiration passionnée pour les institutions de son pays, et après avoir dit que le peuple ne doit jamais rien céder des droits acquis au prix de son sang, lord Brougham cependant, à la fin de son livre, ne laisse pas de convenir que les plus sacrés de ces droits ont été plusieurs fois supprimés pour un temps, et de prétendre que la suprême perfection de la constitution anglaise est de pouvoir laisser suspendre légalement tous les droits qu’elle garantit. Mais qui sera juge entre le gouvernement et le peuple de l’opportunité de ces sortes de coups d’état ? C’est là l’éternelle question que le noble historien, pas plus qu’aucun autre, n’est en mesure de résoudre ; aussi il nous avertit avec une entière bonne foi qu’on ne doit pas mettre toute sa confiance dans les statuts écrits, les constitutions ou les chartes, quelles qu’en soient les perfections théoriques. Accueillons ce sage précepte. Il est, hélas ! trop vrai que c’est uniquement à la vertu et à l’énergie des citoyens, aussi bien qu’aux talens de ceux qui gouvernent, qu’il faut demander la stabilité et la liberté dans les institutions. La plus parfaite des constitutions, même celle de l’Angleterre, ne saurait donner une formule souveraine pour échapper aux difficultés sans cesse renaissantes de la vie des nations, et si l’Angleterre peut à juste titre être fière de ses institutions, elle doit l’être encore plus des hommes qui ont su la gouverner depuis deux cents ans.

Telles sont les remarques auxquelles on est conduit après une lecture attentive de l’ouvrage de lord Brougham. Ce n’est pas néanmoins sans quelque effort qu’on arrive à en dégager une conclusion nette et précise, car l’auteur, emporté par une érudition fougueuse, passe volontiers de Minos au duc de Wellington, ou des Saxons et des Danois au reform bill de 1832. Sans prétendre le suivre toujours dans la marche un peu capricieuse de ses déductions, attachons-nous à quelques traits essentiels, aux vues vraiment pratiques qui le recommandent à notre attention. Essayons de faire connaître, d’après lord Brougham, comment s’est formée, comment est pratiquée la constitution anglaise, et quels enseignemens on en peut tirer pour l’application du gouvernement parlementaire dans d’autres pays.


I

La première question qui se présente naturellement à l’esprit est celle-ci : Qu’est-ce que la constitution anglaise ? La réponse est difficile, si l’on exige qu’elle soit complète et précise. « La constitution